Après les films Love Exposure en 2008 et Cold Fish en 2010, Sion Sono a clôturé cette année sa « Trilogie de la Haine » avec Guilty of Romance. Egalement poète de son métier, les gens qui connaissent un tant soit peu l’œuvre cinématographique générale du réalisateur savent à quoi s’attendre, car il sait brillamment s’éloigner des sentiers battus du cinéma japonais en offrant des films bien souvent controversés.Et il faut dire qu’il ne déroge pas à la règle ici avec ce nouveau chef-d’œuvre. Déjà probablement inédit en France, hors-festivals, il existe deux versions de Guilty of Romance : une courte de 112 minutes, et pour les plus chanceux qui l’ont vu, une longue avoisinant les 2h30 et qui s’avère un pur plaisir de cinéma. Il est certain que tout le monde n’y trouvera pas son compte, mais le film est si fort qu’il scotchera plus d’un spectateur sur son siège tout du long.
Izumi est une femme mariée à un célèbre écrivain, mais sa vie est tout sauf trépidante, et romantique. Elle est un jour abordée par une femme qui lui propose de poser nue moyennant rémunération. Commence alors pour elle une double vie, celle de femme au foyer, et celle qu’elle va vivre en dehors. En parallèle se développe une enquête policière suite à un meurtre macabre dans le quartier des « love hôtels »…
Il semble impossible de classer Guilty of Romance dans un genre bien défini tant il en manipule : que ce soit le drame, le thriller, la romance, voire même certains aspects comiques, tout est fait pour brouiller les pistes. Cela s’accentue par le fait que le film est découpé en 5 chapitres bien distincts, mais qui ne s’avèrent finalement qu’une mise en forme factice car le réalisateur va s’amuser à décaler les éléments censés être chronologiques et donc donner une dimension encore plus folle à son récit.
L’ introduction est brutale. Le spectateur est tout de suite plongé dans ce que sera l’ambiance de ce qui va suivre par un crime abominable où un corps a été découpé et recollé en partie sur un mannequin. Ce début a tout d’un thriller ultra sombre et violent, mais peu à peu le film va se révéler être bien plus que cela.
Car suite à ce préambule débute le premier chapitre, qui se montre finalement assez calme et intimiste, on s’intéresse cette fois à Izumi, cette femme au foyer grâce à qui l’ambiance redevient paisible, mais pas pour longtemps. Cette sérénité n’est en fait qu’un faux-semblant, une façade ainsi présentée pour n’être que mieux démontée par la suite. Sono Sion fouille la société japonaise, la décrit (et décrie) à travers ce couple de telle façon à rendre laide la routine inébranlable de la femme, totalement ancrée dans la tradition. Son mari à une emprise totale sur elle, mais toujours avec un ton très paisible, jamais violent, ce qui renforce l’empathie qui peut être éprouvée à son égard. Le propos est donc discret, mais cherche à piquer en plein cœur les intéressés en dénonçant cette société traditionnelle renfermée sur elle-même, et c’est peut-être pour cela que le réalisateur est critiqué au Japon, car ce grief va être sublimé au fur et à mesure que le film avance, notamment avec provocation.
Le basculement s’effectue à partir du moment où Izumi se met à travailler (avec évidemment l’accord de son mari en amont), puis, par une rencontre, féminine encore, elle va petit à petit s’émanciper à travers un objectif de photographe. D’abord réticente, elle tomber finalement dans un cercle sombre et infernal aussi bien sexuellement que psychologiquement. Sono va pousser son personnage d’un extrême absolu à l’autre pour un résultat aussi fascinant à l’écran que dérangeant pour l’esprit, et qui donne à l’œuvre tout son côté presque malsain, sans pourtant jamais vraiment l’être.
On ressent clairement un message féministe, mais pas celui dont on entend actuellement parler à tout bout de champ, non, celui-ci est réellement « illustre » dans le sens où les femmes ont leur place, et quel que soit le sens où elles sont, le plus cruel soit-il, elles sont mises en avant et totalement sublimées. Le réalisateur laisse d’ailleurs percevoir cette formidable attirance pour les corps de femmes, il les filme beaucoup, les nus ne sont pas du tout censurés. Les actrices y sont pour beaucoup, absolument impeccables et assumées dans leurs rôles, elles ne peuvent nous empêcher d’éprouver une admiration hypnotique ainsi qu’une sorte de frayeur indescriptible tant elles paraissent insaisissables émotionnellement parlant La sexualité est du reste évoquée aussi bien au niveau de l’intimité d’un couple que dans la plus grande froideur de la prostitution, symbole aussi de l’ambiguïté des personnages.
Ces femmes mystérieuses et imprévisibles, qui vivent selon le principe que tout rapport doit être facturé à partir du moment où l’amour n’est pas présent, rendent paradoxalement le désir comme quelque chose de malsain, et la sexualité comme pervertie et dérangeante.
Mais tout cela ne serait pas aussi éprouvant (dans le bon sens du terme) sans des scènes, des dialogues et des interactions très crues entre les personnages, notamment un certain rapport mère/fille à glacer le sang ; mais surtout sans cette ambiance parfois à la limite du surréaliste tant le récit devient un trip dingue.
Celle-ci est d’autant plus appuyée grâce à une photographie très spéciale, voir étrange, limite punk avec des lumières tantôt vraiment sobres et sombres, tantôt ultra flashies et provocantes.
Le cercle vicieux dans lequel tombe la protagoniste principale entraîne aussi irrémédiablement le spectateur dans des scènes non censurées ou ce qui doit être trash ne fait pas seulement figure de suggestion.
L’enquête policière n’est pas pour autant laissée de côté, elle vient s’entrechoquer, elle vient ponctuellement couper les divagations des personnages troublés. On remarque vite que les destins se croiseront, entourés de sexe et de violence, jusqu’à paroxysme qui livrera un final dérangeant éclatant de puissance.
Pour le dernier film de sa trilogie de la haine, Sono Sion nous livre une œuvre puissante, un trip hypnotique absolument fou qui en rebutera très certainement plus d’un par sa provocation et ses passages parfois très crus, mais qui marquera à coup sûr les esprits par son intensité et sa tension allant crescendo. |
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Titre Français : Guilty of Romance Titre Original : Koi no Tsumi (恋の罪) Réalisation : Sono Sion Acteurs Principaux : Megumi Kagurazaka, Makoto Togashi, Miki Mizuno Durée du film : 2h23 Scénario : Sono Sion Musique : Yasuhiro Morinaga Photographie : Sôhei Tanikawa Date de Sortie Française : inconnue |
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