Cloud Atlas - AfficheA l’heure où l’on dit que les irrésistibles ne font pas long feu, que les auteurs sont voués à se marginaliser pour réussir un projet, les Wachowski continuent à se dresser tel un chef de fil unique dans ce monde qu’est celui du cinéma indépendant. Après l’échec cuisant de Speed Racer, à moitié explicable par son esthétique cloisonnée empêchant le spectateur de se douter du projet intellectuel monté sous cet aspect haut en couleurs, Cloud Atlas, ce projet fou d’envergure, naissait bien loin du temps où n’importe quel studio se serait jeté à bras le corps par la simple mention du nom Wachowski. Cette fois-ci, ils sont rejoints par Tom Tykwer, permettant une peinture complète de cet univers pluricellulaire autrement impossible.
Et pourtant, après un décalage de sortie invraisemblable en France, confirmant le manque d’assurance de la part de Warner quant à sa distribution et son succès, il est désormais temps pour le film de faire volte-face, et nous rassurer sur la qualité d’une pièce artistique hors du commun.
Depuis Griffith et ses deux biographies de l’humanité, jamais le terme de fresque humaine n’avait trouvé si belle représentation. Et pourtant, le projet était bien loin d’être le plus facile et le plus évident à réaliser. Le livre de David Mitchell avait été placé précieusement sur cette liste noire des scénaristes : l’inadaptable.
Cloud Atlas est un récit unique découlant de six autres récits. Séparément, chacune de ces parties se dirige dans différents sens, avec différents buts, tandis que dans leur globalité, c’est une véritable architecture logique et chronologique qui se forme. Si le spectateur pourra la première fois être déconcerté face au résultat filmique qui en naît, véritable tour de force technique, une fois prêt à aborder un tel récit, c’est un nouveau niveau narratif qui s’offre alors à lui. Car l’on pourra dire ce que l’on veut de Cloud Atlas, d’un côté qu’il s’agit d’un film prônant une philosophie de comptoir – tout en philosophant maladroitement sur la nature du sexe de Lana Wachowski, allez comprendre le paradoxe -, qu’il s’agit d’une œuvre incomplète, incompréhensible, mais pour ne pas tomber dans une lecture si simple, peut-être faut-il parfois prendre un peu de recul, et laisser à une telle œuvre, qui le mérite, une seconde chance.

Cloud Atlas - 1

Si chacune des histoires semblent à première vue étrangères l’une à l’autre, un fil directeur, prenant la forme d’un héritage infini, renaissant toujours à travers de nouveaux personnages souvent sous la forme de traces écrites, prend rapidement forme. Dans l’œuvre originale, chacune de ces dites histoires étaient abordées de manière indépendante, partant sur une moitié pour s’achever logiquement sur la seconde un peu plus tard. Pour chaque histoire, un personnage récurent, sorte de noyau autour duquel tournent divers électrons prenant eux même part à différents niveaux de chacune de ces histories. Le film s’efforce donc dans un premier temps de nous introduire chacun de ceux-ci, tout en liant d’abord leurs histoires par un procédé ingénieux. Ainsi se met en place le jeu des masques, sorte de bal envoutant, le film démarrant dès les premières minutes. Pour que le spectateur ne se retrouve pas désorienté, une figure se glisse sur deux histoires se chevauchant l’une après l’autre, même durant un court instant, le visage Halle Berry nous permet de distinguer les univers de 1936 et 1973, ou Tom Hanks entre 2012 et 2144. Ces simples apparitions, mêmes courtes, nous fixent peu à peu chaque univers, car même inconsciemment notre cerveau distingue chacune de ces apparitions, dépassant ainsi le simple jeu. Les Wachowski manipulent alors avec aisance le montage devenant soudain libre de tout mur imaginaire, détruisant alors toutes cohérence chronologique pour ne se consacrer qu’à celle narrative. Les limites géographiques, culturelles, ou ethniques fondent alors, ne créant plus qu’une unique entité violente. Cette idée équivoque met alors en abyme le seul sujet inhérent et universel à chaque instant du film : cette réincarnation incessante de l’esprit à travers les âges. Passé cet instant, ces histoires se mélangent rapidement pour n’en faire plus qu’une. Cette histoire unique, naissant de concepts humains, devient l’œuvre d’une vie, non pas étalonnée à une vague tranche d’années, mais à tout ce que celle-ci représente, à travers son âme. Cloud Atlas se place alors d’emblée hors de portée des considérations manichéennes cinématographiques habituelles. Le but n’est pas de peindre vainement les vices de l’humanité. Présents en arrière-plan, contrebalançant les idées des protagonistes principaux, victimes ou mettant à jours ces injustices, c’est dans le libre arbitre et l’assurance d’un secret espoir que se noue la trame narrative. Ce n’est pas à partir du bien ou du mal, ni de la valeur morale de nos actes, qu’est écrite chacune des pages de son histoire, mais par son humanité. Cloud Atlas ne cherche pas non plus à alourdir son sujet déjà explicite par une morale imposante, car face à une telle fresque, elle aurait de toute façon parue désuète et bien trop quelconque pour justifier un tel fardeau critique. Si certaines idées sont ainsi évoquées, ce ne sont à chaque fois que de multiples pans de l’humanité qui nous empoignent à tout instant de notre vie.

Cloud Atlas - 2

La répétition de nos erreurs ou encore la quête de rédemption, sont des idées loin de nous être inconnues, pourquoi alors se poser une multitude de questions complexes sur des sujets qui finalement ne font pas que nous parler, mais nous tiraillent tout autant que chaque choix de notre vie, lorsqu’il y a quelque chose de plus grand à raconter ? C’est de là que vient toute la force de Cloud Atlas, chacune de ces six histoires prises séparément ne sont pas toutes si extraordinaires, car représentent finalement la banalité de nos vies. Dans chacune ce sont les choix entrepris par chaque personnage qui changent, et seul l’impact de ces derniers sont nuancés au fil du temps. Œuvre polyphonique, nous envoyant continuellement une légion de messages, voguant sur le rythme du sextet dont il tire le nom, voilà ce qu’est véritablement Cloud Atlas. Tel une troupe de chefs d’orchestres, Lana & Andy Wochowki, accompagnés de Tom Tykwer, dirigent cette œuvre symphonique sans fausses notes. Ainsi, c’est un tout qui en sort, nous empêchant d’accorder une valeur à chaque histoire mais plutôt à cette seule histoire sensible et honnête qui résulte de cette symbiose alors que son final s’abat sur nous. Chaque petit élément prend alors une certaine valeur, certaine thématiques ressortent plus souvent, comme l’idée de l’âme sœur, application idyllique d’un rêve commun. Mais une nouvelle fois, ces idées, tout comme dans Matrix, impliquent de s’accorder un instant de paix, et, si besoin, à élargir notre vision et accepter de croire un instant en une multitude de concepts dont la poésie atteint de véritables sommets, mais qui au jour le jour ne nous touchent pas plus que cela. Cloud Atlas représente dans un sens tout ce dont avaient pu rêver Koulechov & Eisenstein avec leurs idées de montage. Tout le film n’est qu’un enchainement de sensations formulées par la combinaison d’images distinctes. C’est cet emboitement interminable et fascinant qui crée tout l’intérêt de Cloud Atlas, imagerie naissante de ces histoires distinctes. L’histoire de Cloud Atlas, est, telle son morceau, fougueuse, incontrôlable, mais surtout au-delà des images, plutôt entre chacune, formant une image distincte et ensorcelante au sein de notre psyché et non de notre vue, si bien que même une pirouette scénaristique s’oublie dans cet océan d’émotion. Car malgré tous les défauts que certains pourront trouver au film, c’est bien à travers son montage que Cloud Atlas semble mettre d’accord chacun de ses spectateurs. C’est dans cet aspect que le film affiche le plus le génie Wachowski. Il est difficile de croire qu’un tel chef d’œuvre naisse du travail d’un homme comme Alexander Berner, dont les derniers travaux sont loin de pouvoir refléter autant d’ambition et de talent. Tout le monde n’est pas capable de mettre un personnage, au cours d’un même instant, sous deux positions de forces bien distinctes, alors comment le pourraient-il au cours de tout un film ?

Cloud Atlas - 3

Chaque instant du film met ainsi en relation une sorte de dualité de séquences, permettant de naviguer entre la tension et les émotions de chaque histoire à partir de liens pas toujours équivoques et nécessaires dans l’image, mais plutôt dans la situation des personnages. Le sauvetage, la vérité, la découverte, l’amour, le mystère, la virtuosité d’un instant apparemment éphémère et unique sont tant de concepts reliant logiquement chaque pas de chaque histoire, empêchant alors le spectateur de se contenter des codes d’un genre, quand il possible de profiter de tous. Cloud Atlas c’est aussi cela, une parfaite compréhension de chaque genre mis en image, pour une histoire. Le drame, le mélodrame, la comédie ou même la science-fiction font alors parti de l’amorce de Cloud Atlas. Cette manière d’aborder ces genres, que ce soit par le biais du travail des Wachoski ou de Tykwer force le spectateur à s’intéresser dans un premier temps à la richesse de chaque univers, à retrouver le genre lui parlant le plus dans cette tempête d’images. Et pourtant, que ce soit à travers le huis-clos se déroulant en 1849 ou dans cet hommage sur-référencé de Neo Seoul, tous deux réalisés par les Wachowski, ou bien dans l’univers comico-british ou dans le polar des années 1970 par Tykwer, tous finissent par se valoir, la faiblesse de certains se compensant rapidement par cette idée de montage en puzzle.
Néanmoins, durant ses trente dernières minutes, plus rien ne compte plus que cette œuvre devenant une seule après une monté en crescendo de chacun de ses instruments musicaux. La cruauté de certaines images, leur honnêteté dans le travail de la mise en scène, osant tâcher le blanc immaculé d’une seule goutte de sang tranchant avec le reste avant de nous faire sombrer sans préliminaires dans la cruauté pure mélangée à l’espoir, font que le film se dégage de tout canevas. Il ne nous est alors plus permis de douter que Cloud Atlas est bien une seule et unique fresque, sorte de Picasso s’efforçant de nous montrer chaque facette de l’humanité sur une même image, avant de la sauver une nouvelle fois, par la plus pur et artificielle de ces fractions. Celle-ci, jouée par Doona Bae est magnifique dans son rôle, celle qui nomme les gens prophètes devient ce même prophète, voix d’idées universelles et pourtant incomprises d’une humanité plus encline à la répétition qu’à l’innovation de l’esprit. Si les mœurs changent, si les Hommes changent, ce qui les fait Hommes, cette conscience, où cette âme quel que soit le nom que l’on puisse lui donner, semble obstinée, et pourtant encline à changer si la volonté lui est donnée.


À travers une histoire qui se déroule sur cinq siècles dans plusieurs espaces-temps, des êtres se croisent et se retrouvent d’une vie à l’autre, naissant et renaissant successivement… Tandis que leurs décisions ont des conséquences sur leur parcours, dans le passé, le présent et l’avenir lointain, un tueur devient un héros et un seul acte de générosité suffit à entraîner des répercussions pendant plusieurs siècles et à provoquer une révolution. Tout, absolument tout, est lié.


Entre les critiques exécrables et la fratrie Wachowski, il n’y a presque qu’un pas à faire pour être catégorisé et voir son avis vaporisé en quelques secondes. Représentant à la fois tout ce que les deux réalisateurs ont toujours aimé mettre en scène et une histoire ambitieuse, Cloud Atlas devient un véritable chef-d’œuvre humain. Si en revanche vous n’avez pas été touché par la force de son propos la première fois, que votre œil n’a pu se concentrer que sur son montage, n’hésitez pas à revoir le film, et à laisser quelques larmes suivre ce nouveau plein d’émotions.
Titre Français : Cloud Atlas
Titre Original : Cloud Atlas
Réalisateur : Andy, Lana Wachowski & Tom Tykwer
Acteurs Principaux : Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent
Scénario : Andy, Lana Wachowski et Tom Tykwer D’après l’oeuvre de David Mitchell
Photographie : John Toll & Frank Griebe
Compositeur : Tom Tykwer, Johnny Klimek & Reinhold Heil
Genre : Drame, Science fiction, Thriller
Durée : 02h45min
Sortie en Salles : 13 mars 2013

3 Responses

  1. Greg Armatory

    Merci ! Je clique sur le tag chef d’oeuvre et sur quoi j’ai le plaisir de tomber ? La critique de Cloud Atlas. J’ai défendu ce film moi-même sur mon blog car oui c’est un chef d’oeuvre et oui qu’on ne comprenne pas tout au début n’est pas un handicap. Je suis allé le voir deux fois. Il faut encourager ces projets car pour un Cloud Atlas combien avons-nous de Battleships ?

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.

Image CAPTCHA

*

What is 15 + 8 ?
Please leave these two fields as-is:
IMPORTANT! To be able to proceed, you need to solve the following simple math (so we know that you are a human) :-)