[one_third last="no"]Deauville[/one_third][two_third last="yes"]

FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

Edition 2013

COMPETITION

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Logan et Noah Miller, les deux frères jumeaux à l’origine de Shérif Jackson, aiment le western, c’est certain, et essaient à travers leur film de rendre hommage à ce genre aux codes bien spécifiques, tout en y ajoutant ce que l’on pourrait appeler leur patte personnelle. Le problème réside dans le fait qu’ils ne savent pas du tout comment faire pour honorer un film de genre, et la volonté de vouloir le rendre original afin de le démarquer termine définitivement d’enterrer une oeuvre qui aurait pu être absolument folle lorsque l’on voit les germes d’idées extravagantes qui parsèment tout le film.
En effet, le film s’ouvre sur deux scènes complètement fantasmées qui introduisent deux des personnages principaux : l’un est Shérif Jackson, hurlant comme un loup et chantant au crépuscule sur une colline désertique, paysage de western par excellence, l’autre est le Prophète Josiah, brisant le quatrième mur en récitant des paroles bibliques dans un vaste vide noir d’où naissent d’immenses croix blanches. Des images de paradis ou d’enfer, on ne sait pas trop, mais quoi qu’il en soit, les images sont d’une provocation graphique impressionnante. En quelque plans, les deux frères signent ici la promesse d’un film original et apportant une fantaisie hallucinée manquant parfois cruellement à un western habitué à être terre-à-terre.

Shérif Jackson 1

Mais très vite, la désillusion prend le dessus sur l’émerveillement procuré par l’ouverture du film. En se mettant en scène immédiatement après cette dernière dans les rôles de deux personnages pathétiques qui seront d’ailleurs réutilisés plus tard dans le métrage sous la forme d’un prétexte à peine utilisé, les cinéastes sèment des indices quant à la tournure que va prendre le ton du film. La césure entre l’épouvante des premières images et l’humour décalé de cette scène laisse doucement la parodie pointer son nez. Sauf que pour envisager de parodier un genre si particulier que le western, il faut déjà en maîtriser les codes afin de mieux les détourner. Et c’est ici que la réalisation de Shérif Jackson pêche complètement et plombe totalement le film jusqu’à la fin. Les frères Miller semblent eux-même avoir du mal à tenir les rennes de leurs ambitions, le non savoir-faire se ressent au fur et à mesure que se déroulent les aventures de la galerie de personnages plus absurdes les uns que les autres. Du coup, ils n’ont d’autre choix que de bifurquer sur un autre terrain, celui de l’attirance des yeux par des jeux de couleurs et de lumières agréables, et par des gags de bas étage.
Le western, genre si attrayant rien qu’au niveau visuel, est ici totalement inexploité, et c’est dans ce sens que la parodie n’aboutit jamais. Il aurait fallu un environnement assez puissant de bout en bout pour pouvoir ensuite en détacher un regard amusé sur des personnages ou des situations typiques de ce genre de films, mais au bout du conte, rien n’est exploité comme il le faudrait. Les paysages désertiques ne sont plus qu’un prétexte pour y apposer des personnages qui auraient pu évoluer dans n’importe quel autre décor, leur mise en scène comme les simples choix de cadrages font qu’ils ne sont utilisés au mieux de manière hasardeuse, au pire pas du tout. Il en va de même pour les villages typiques implantés en plein milieu du désert et bien souvent victimes des règlements de compte entre figures burinées : ici, les grands rues ne sont à peine filmées et toujours cantonnées à une pincée de boutiques, qu’on ne voit en plus quasiment que de l’intérieur (aucun armurier par exemple, ni même de saloon). Les Miller préfèrent régler le passage inévitable du face-à-face final dans un enclos à moutons, et si en soit l’idée n’est pas si stupide qu’elle aurait pu en avoir l’air, le résultat est ridicule car encore une fois les mauvais choix en termes d’utilisation des espaces sont faits.

Shérif Jackson 2

L’on peut au moins saluer dans Shérif Jackson l’absence de manichéisme dans les personnages, les rapprochant un minimum de ce que Sergio Leone avait su imposer magistralement. Tous ont un passé, des convictions, des états d’âme qui peuvent varier en fonction des événements et au final les rendre attachants ou méprisables. Mais cela ne va malheureusement pas plus loin, car ils se perdent tous dans un récit totalement disparate, les Miller ne sachant pas comment faire avancer, puis terminer une histoire à peine lancée. Ainsi, le pitch parle de Sarah comme l’héroïne devant venger la mort de son mari, mais dans les faits, il n’y a pas qu’un personnage principal, mais trois avec le shérif et le prophète. Encore une fois, cela aurait pu aboutir à des situations donnant des ressources à la parodie, mais ici le comique triangulaire s’effondre à cause d’un melting-pot d’intrigues sans queue ni tête. D’un but principal, le récit s’éloigne vers quelque chose de secondaire qui va finalement reprendre la place de fil rouge tandis que l’histoire première ne sera jamais résolue. Ils se contentent de ne prendre que ce qui leur paraît le plus intéressant dans chaque personnage, sans pour autant faire interagir ces forces comme il se doit pour qu’un intérêt ou un élan quelconques s’en dégagent. Et c’est ainsi pendant tout le film, la caméra ne sait pas où aller, quand s’arrêter, à quel moment laisser des pauses. Car en essayant de citer les Coen ou Tarantino, Logan et Noah Miller s’attaquent à des monstres de rythmes, et vont en faire un des nouveaux défauts principaux de Shérif Jackson. L’accumulation d’intrigues et la volonté de créer un rythme soutenu et haletant ne se mélangent pas comme prévu et cela aboutit à une bouillie de ce qui aurait pu être harmonieux.
S’il faut avouer la fadeur du jeu de January Jones en veuve vengeresse, le Prophète Josiah interprété par Jason Isaacs et Ed Harris en shérif ont tout de personnages de cinéma au potentiel déflagrateur. Ces deux gueules ont beau ne pas être optimisées pour pousser le film vers de plus hautes ambitions, ils sont néanmoins la preuve que les deux réalisateurs ont eu de la suite dans les idées, ne serait-ce que dans ce que les acteurs dégagent visuellement au milieu d’une galerie de personnages sans grande saveur. En tant que méchant attitré, puisqu’apparemment il faut en désigner un, le Prophète bénéficie d’un charisme et d’un travail soigné dans la voix, mais l’acteur grime trop ses gestes pour convaincre d’une noirceur profonde qui motiverait ses actes. Lui faire réciter des prières à la gloire de Dieu tout en commettant des pêchés peut être amusant sur le coup, mais l’ambition comique du film s’arrête là. Le ton est pénible, toujours dans l’excès sans pour autant maîtriser tout ce qui devrait aller avec, du moment que l’aspect graphique du film soit attirant. On ne peut pas dire que les Miller manquent de passion pour leur sujet, mais plutôt d’un manque cruel de moyens artistiques pour faire passer leur vision de Shérif Jackson.


Shérif Jackson est un triste exemple de cinéma arbitraire de bout en bout. Il faut connaître un minimum le western lorsque l’on essaie de s’atteler à la dure tâche d’en emprunter les décors et les personnages pour en faire un film décalé. Les frères Miller ne semblent pas maîtriser ces codes si spécifiques et le film aboutit à un résultat final non pas catastrophique, mais surtout à un immense gâchis en vue de certaines idées fulgurantes du duo de réalisateurs, qui dirigent leur petit monde dans un hasardeux et joyeux bordel.


    A propos de l'auteur

    Rédacteur Ciné

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