Lincoln - afficheLe personnage d’Abraham Lincoln a toujours fasciné bon nombre de réalisateurs : De David W. Griffith à John Ford pour ne citer que les talentueux, c’est cette fois-ci au tour de Steven Spielberg de s’approprier le 16e président des Etats-Unis d’Amérique. Les films calibrés pour les Oscars ayant tendance à décevoir, faut-il en attendre de même pour Lincoln ? Evidemment que non. L’un des plus grands réalisateurs américains qui s’attèle à l’un des mythes fondateurs des Etats-Unis, ce dernier campé par Daniel Day-Lewis, l’un des acteurs les plus talentueux de sa génération, il y a matière à faire rêver.
Habitué à traiter des sujets historiques qui lui tiennent à cœur, Spielberg n’y va cette fois-ci pas de main morte : il nous offre avec Lincoln une véritable leçon d’histoire de 2h30, temps nécessaire pour brasser les quatre derniers mois de la vie du 16e président des USA.
L’époque choisie pour le film s’étalant en pleine guerre de Sécession, il était logique de s’attendre à un film de guerre, avec une grande présence de la caméra sur divers champs de bataille, ce qu’avait fait Spielberg dernièrement avec Cheval de Guerre. Et pourtant, le réalisateur donne un ton radicalement différent à son film. Ici, il n’y aura pas de batailles, la guerre physique ne sera qu’un contrechamp invisible, pour mieux saisir ce qui se passe derrière les batailles : les débats politiques.
En s’attaquant à un biopic de cette ampleur, il s’abstient d’une part d’imaginaire présente dans la plupart de ses autres films, pour ne s’occuper que de la réalité historique, ce qui est forcément passionnant, mais rebutera les plus réticents à ce cinéma.
Dès sa première apparition, l’iconisation de Lincoln est évidente. Assis sur une petite estrade au milieu d’un camp de soldats, l’homme bouge peu. Par l’immense jeu de Daniel Day-Lewis, tout en retenue, mais aussi grâce au travail de la lumière, terriblement bien sculptée, l’on a affaire à un mythe, ce président semble déjà immortel, tel une statue de marbre. Mais là où il aurait logiquement pu avoir une position condescendante et transcendée d’une entité dominant les hommes, cette scène exprime toute l’essence de ce que veut nous montrer le film : Lincoln est avant tout un homme, qui a été dressé par la suite en un mythe fondateur. Et Spielberg va nous expliquer tout au long de son récit la raison de l’acquisition de cette stature. Ce sont ces premiers plans qui posent toute la réflexion attendue : bien que déjà érigé comme personnage clé, il est pourtant au niveau des soldats. Et même mieux, il leur parle, discute et rigole avec eux comme s’il parlait avec des amis de longue date. Si le ton reste tout de même solennel et les mots réservés, le président est surtout près de son peuple, à leur écoute.

Lincoln 1

Spielberg  fait du président un homme aux faiblesses évidentes, il ose rabaisser un mythe à un niveau humain. Pourtant, il en fait un personnage très difficile à cerner dans son traitement : le propos étant assez considérable, le film se permet de jouer sur l’humour inattendu des personnages. Si  dans l’image, Lincoln est dans l’iconisation constante à chaque plan, tandis que dans ses paroles et ses actes, c’est n’est «qu’un» homme, droit, tiraillé par le pouvoir qui l’oblige à faire des choix, il est aussi identifiable comme le simili-grand-père de toute une nation lorsqu’il raconte histoires et anecdotes à ses compatriotes en besoin d’assurance.
Finalement, on en vient à se demander ce que Lincoln aurait été sans les gens qui l’entourent, car c’est grâce à eux qu’il est capable de grandes choses, il n’est rien sans le peuple à ses côtés.

Très bavard mais toujours passionnant, le film cherche à étudier en profondeur les rouages politiques qui permettront en épilogue que le 13e amendement soit finalement voté. Pas toujours évident à suivre (contrainte de temps oblige), le système d’alors montre les sacrifices à essuyer pour pouvoir arriver tant bien que mal à adopter un texte de loi qui changera à jamais le cours de l’Histoire. Mais il démontre aussi d’un autre côté le conservatisme primaire de certains politiciens, freins à un progrès indispensable dont tant de gens sont morts pour qu’il arrive un jour. Ce ne sera finalement pas tant l’esclavage qui poussera certains démocrates à adopter le XIIIe amendement, que la volonté de mettre un terme à une guerre qui n’a que trop durée. Si Lincoln a eu un rôle primordial dans ce pan de l’Histoire, il n’aura tout de même pas pu changer certaines mentalités.
Spielberg montre très peu la guerre sur les champs de bataille : il s’intéresse surtout à la politique et aux rouages du déroulement de la guerre et de l’adoption du 13e amendement, il n’y a donc ici pas de moments s’attardant sur la condition des esclaves. Ce n’est pas ce qui intéresse Spielberg (le sujet ayant déjà été traité en 1997 avec Amistad),  et l’on ne peut pas dire que ce soit une bonne idée où non, le film étant un témoignage des manigances d’un système.

Avec un casting presque exclusivement masculin, Lincoln dépeint une époque d’hommes, et que si le problème de l’esclavage va être réglé, il restera encore beaucoup de chemin à faire avant d’atteindre un semblant d’égalité. Seule Sally Field se détache en tant que femme, et pourtant la femme du président apparaît comme quelqu’un d’extrêmement névrosée, comme un obstacle dans le parcours de son mari, qui pourtant lui porte un amour évident.

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Là où le film perd malheureusement en grandeur, c’est dans son manque d’émotions portées à l’écran. Spielberg, à défaut de casser le mythe, veut rendre son personnage avant tout humain, montré sous un angle plus sombre et parfois moins glorifié. En faisant des scènes intimes une bascule dans un récit qu’il a peur de rendre trop mou, les scènes  se voulant être chargées en émotion sont souvent beaucoup trop appuyées pour qu’elles apportent un véritable émoi. On regrette ainsi qu’il ne s’attache pas plus que cela à la cellule familiale du héros, car c’est pourtant une partie de ce qui fait la grandeur de son cinéma. On ne retrouve que quelques fragments de ces rapports, le fer de lance du cinéma de Spielberg, comme par exemple les relations père/fils difficiles, une femme aimante mais tiraillée, ne sont que survolés. Si le personnage de Lincoln, totalement occupé par son statut, n’a peut-être pas pu être assez présent pour ses proches, le scénario ne va pas forcément dans la bonne direction en adaptant ceci sur l’écran : les personnages familiaux sont distanciés du récit, les apparitions des membres de sa proche famille, trop courtes, sont là pour accentuer son rapprochement avec le peuple, mais ces scènes n’apportent pas énormément de choses en soi au récit.

Très mature et extrêmement travaillé dans ses détails, le film est jugé académique, à tort : tout est parfait techniquement, à chaque instant la mise en scène est présente pour appuyer le propos. Ainsi, la collaboration entre Spielberg et le chef opérateur Janusz Kaminski (c’est leur 13e coopération) atteint ici des sommets, la photographie est élevée au rang de chef-d’œuvre grâce à un travail tout en clair-obscur. Les personnages, tout comme les décors, semblent peints à même l’écran, la dualité des lumières transpose l’idée de tiraillement constant dans des décisions à prendre toujours plus difficiles. L’espoir est aussi au cœur des réflexions, Lincoln, même dans ses moments de faiblesse, ne s’avouera jamais vaincu, et c’est ainsi qu’un banal rayon de lumière traversant une fenêtre, ou encore une simple bougie allumée, illuminant un endroit clos et isolé de la lumière, donne tout son sens à des pointes de chaleur dans une image volontairement « poussiéreuse ». Ces lumières épousent toujours parfaitement les traits de Daniel Day-Lewis, lui-même étant probablement le choix parfait pour incarner un tel personnage. D’un charisme écrasant, l’acteur cherche avant tout à faire de Lincoln un homme présent, car même lorsqu’il se pose dans un coin du cadre, c’est avant tout son incroyable aura que l’on ressent.
La thématique du regard, toujours présente chez Spielberg, est dans Lincoln non pas synonyme d’émerveillement de l’extérieur, mais il est ici présent comme mouvement introspectif. Lincoln regarde en lui et pas seulement en face de lui, il est constamment amené à se poser des questions. Peu bavard, ses paroles sont pesées, jamais vaines.  C’est peut-être ce regard, qui paraît vide au premier abord, mais qui s’avère extrêmement puissant et lourd de sens, qui amène le personnage à méditer ses mots, à tout faire passer par sa pensée.


Les derniers mois tumultueux du mandat du 16e Président des États-Unis. Dans une nation déchirée par la guerre civile et secouée par le vent du changement, Abraham Lincoln met tout en œuvre pour résoudre le conflit, unifier le pays et abolir l’esclavage. Cet homme doté d’une détermination et d’un courage moral exceptionnels va devoir faire des choix qui bouleverseront le destin des générations à venir.


Spielberg surprend avec Lincoln : ici, la guerre n’est que prétexte à analyser un système politique déjà corrompu, mais pour la bonne cause. Le film, très friand en dialogues explicatifs, prend son temps afin de nous dépeindre le Président comme un homme certes puissant et important, mais qui a lui aussi ses faiblesses et sa part d’ombre. Servi par une photographie à tomber, il est par contre regrettable qu’à trop vouloir insister sur la véracité des faits, le film perd finalement en émotion.
Titre Français : Lincoln
Titre Original : Lincoln
Réalisation : Steven Spielberg
Acteurs Principaux : Daniel Day-Lewis, Sally Field, David Strathairn, Tommy Lee Jones
Durée du film : 2h29
Scénario : Tony Kushner, d’après l’œuvre de Doris Kearns Goodwin
Musique : John Williams
Photographie : Janusz Kaminski
Date de Sortie Française : 30 Janvier 2013

Une réponse

  1. Gaëlle

    Merci pour cette analyse, en particulier sur le fait que le film n’est pas exclusivement académique. Pour ma part, j’ai apprécié cette belle leçon d’histoire.

    Répondre

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