[one_third last="no"]Deauville[/one_third][two_third last="yes"]

FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

Edition 2013

COMPETITION

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Il y a quelque chose d’assez fascinant qui tend à se dégager de cette nouvelle vague (si l’on peut nommer ainsi cette tendance récente) de jeunes réalisateurs américains indépendants. Outre le fait qu’ils se démarquent d’Hollywood par des productions indépendantes et souvent à petit budget, mais aussi par un passage apparemment baptistaire au festival de Sundance, ces cinéastes ont en commun une manière de filmer si particulière un pan plus ou moins profond du Sud des Etats-Unis d’Amérique. En effet, des réalisateurs comme Jeff Nichols, Benh Zeitlin, Andrew Dominik ou encore David Gordon-Green détiennent une vision âpre, violente et même parfois mélancolique des régions dans lesquelles ils tournent ; et, de l’humidité du bayou aux vastes champs texans à la chaleur pesante, ils parviennent tous sans exception non seulement à donner corps à ces décors déjà fabuleux naturellement, mais ils s’aventurent aussi à les ancrer dans leurs histoires de manière à ce que les environnements deviennent des personnages à part entière. Les films de ces cinéastes dégagent ainsi une puissance souvent enfouie, qui explose parfois, la nature reflétant les états d’âme des personnages. Et cela, David Lowery l’a très bien compris et mène avec Les Amants du Texas une œuvre héritière d’une certaine idée d’un cinéma américain à travers une superbe histoire d’amour assez étonnante dans son traitement par correspondances.

Les Amants du Texas - 1

Le film est assez surprenant dans la façon dont il va aborder le couple amoureux tout au long du récit. En effet, les premières minutes du film seront quasiment les seules où l’on verra Bob et Ruth ensemble à l’écran. Un braquage qui tourne mal va mettre fin à leur idylle : Bob est arrêté, Ruth laissée en liberté, mais elle est enceinte. Cette dernière le lui souffle, et il jurera de s’évader pour rejoindre cette famille en construction. C’est cette promesse d’un futur qu’ils passeront tous ensemble qui va motiver le pouls du film. Le temps passe, Ruth accouche, seule, Bob l’apprend en prison. Lowery prend le parti de garder le point de vue de Ruth : en se dégageant du mari, il délaisse ce qui aurait pu être un récit à suspense par un tempo tout autre, lent et pesant, mais toujours plein d’espoir. En voyant Ruth élever son enfant seule, l’on comprend le thème du film : Les Amants du Texas est finalement l’histoire d’une attente, celle d’une femme aimante, peu importe que son mari soit un truand, elle sait que sa promesse de revenir les chercher et de s’enfuir vers un avenir meilleur que leur passé déjà vécu n’est pas une parole en l’air.
Cet amour qui était évident lorsque le couple était uni physiquement va désormais devoir se faire ressentir par interpositions. La passion dans chacun des personnages est présente par l’absence de l’autre, et David Lowery a compris que cette séparation forcée par la loi va aboutir à un travail sur l’ambiance et l’atmosphère qui devront régner autour de la maison de Ruth, qui s’impose comme sa prison à elle.

Les Amants du Texas - 2

Le réalisateur, avec l’aide de son directeur de la photographie Bradford Young (qui signe ici un travail des lumières tout bonnement stupéfiant de naturel), joue donc avec la richesse sans fin des décors texans pour créer un climat propice à un ton brûlant, languissant. Ainsi, même si le film lui est propre, il y a des échos criants (volontaires ou non, l’on ne cherchera pas à savoir si ces influences le sont vraiment ou si elles ne sont pas préméditées), d’une part au travail des réalisateurs cités en début d’article, et d’autre part à la filmographie de Terrence Malick, et plus particulièrement à La Balade Sauvage et aux Moissons du Ciel. Le soleil est pesant, le visage impassible de la si belle Rooney Mara laisse deviner une chaleur difficilement supportable qui viendrait s’ajouter à son embarras préexistant. Cette région isolée abrite un microcosme de personnages dont le centre d’attention va vite devenir Ruth, mais aussi Bob dont on commence à se douter de la volonté de s’échapper de prison. Le shérif –celui qui a été blessé par Bob lors du braquage et qui lui a valu la prison- cherche d’ailleurs à attendrir Ruth pour se l’accaparer, faisant douter cette dernière. Car l’attente devient longue, pénible, d’un côté comme de l’autre. Lui veut fonder sa famille loin de son passé, elle a peur de mêler leur fille à une histoire de banditisme qui les suivra à vie.
Si la chose la plus importante rattachant Bob à la vie est de retrouver sa famille, l’histoire du couple s’écrit à travers des lettres qu’ils s’envoient, et dont la voix-off (encore un lointain écho à Terrence Malick) se fait porteuse. Ce sont ces correspondances qui rythment le récit, porteuses des nouvelles de l’être aimé et rendant l’attente encore plus insoutenable. David Lowery joue ainsi tout du long sur la notion du temps qui passe
En ne les ayant montré ensemble que lors de l’ouverture du film, le réalisateur a pris le risque de faire vivre la romance par interpositions, et c’est probablement la direction d’acteurs qui lui a donné ce souffle lyrique si éblouissant. Ce rythme à la fois paisible et troublé, bien que ponctué par quelques événements qui viennent ajouter de l’intensité au récit, est entièrement porté d’une part par Rooney Mara, impassible, qui tout en retenue va faire ressentir cette attente entre l’éducation de sa fille et les moments d’angoisse quant à la situation de son mari ; et d’autre part par un Casey Affleck majestueux, apportant au film toute la fièvre et l’agitation qui viennent précipiter les événements. Rien que dans l’intonation de sa voix, rocailleuse, presque cassée, toute sa personnalité ressort : c’est un personnage cassé par la vie, fatigué de jouer avec la mort, et malgré tout fou amoureux et déterminé à retrouver sa famille. Son absence lui pèse autant qu’à sa femme, c’est lui qui se fait du mal, malgré lui, et qui fait souffrir Ruth, mais elle ne peut pas lui en vouloir. Finalement, même si c’est lui que l’on voit le moins, Les Amants du Texas est mû par des charismes aussi puissants que discrets, aussi beaux que dramatiques.


Bien plus qu’un énième film de southern gothic, Les Amants du Texas joue sur l’ambiance si particulière et propice au drame amoureux de cette région des Etats-Unis. Lowery, probablement conscient de l’exploitation passée des terres sur lesquelles il s’engage, s’impose néanmoins comme un nouvel auteur fiévreux qui, espérons-le, n’a pas fini de se servir de la richesse des décors pour servir au mieux de nouvelles histoires.


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