?xml version="1.0" encoding="UTF-8"?> PixAgain » Thriller http://pixagain.org Critiques, Tests, Avis, Dossiers, Previews... Mon, 18 Nov 2013 23:50:41 +0000 fr-FR hourly 1 http://wordpress.org/?v=3.7.1 Critique : Stoker (Park Chan-wook) /critique-stoker-park-chan-wook/ /critique-stoker-park-chan-wook/#comments Tue, 30 Apr 2013 10:28:53 +0000 /?p=8085 Stoker

De la même façon que le cinéma Hong-kongais s’était exporté soudainement aux Etat-Unis par le biais d’artistes de talents, c’est aujourd’hui à la Corée d’arriver sur le sol américain. Second réalisateur de ce trio de pionniers, Park Chan-wook n’en démord par pour autant avec son esthétique et ses sujets de prédilection. Avec Stoker, le réalisateur de la trilogie de la vengeance avance étrangement à contre-sens de l’horizon d’attente du public américain. Là où l’on aurait pu attendre une oeuvre stigmatisée par le système du-dit pays – Kim Jee-woon si tu nous entends -, son oeuvre, poétique et déstabilisante, va même jusqu’à se glisser à travers une facette que même les habitués de son cinéma auront du mal à reconnaître.
Stoker, sous sa forme de fable monstrueuse, pourrait bien être la confrontation de Park Chan-wook avec une nouvelle étape de son cinéma qu’il avait amorcé avec Thirst. Huis-clos intelligent construit sur une ambiguïté permanente, le film partait pourtant d’un étrange concours de circonstances. D’un côté, un scénario écrit par Wentworth Miller, le héros de la série Prison Break, figurant parmi les plus côtés. Ce dernier s’avérant être écrivain durant sont temps perdu, auteur même d’un prequel nommé : « Uncle Charlie ». De l’autre, un génie étranger imprévisible, à la fois réalisateur et auteur signant ses oeuvres d’un sceau indélébile.
Et pourtant de ce mélange improbable formé sous le signe d’une liberté de choix inconcevable chez un réalisateur fraichement arrivé dans le système hollywoodien, s’est forgée une œuvre majeure de l’année. Le film tire parti sans relâche d’une mise en scène léchée dont la narration naît par symbiose. D’une façon unique, Stoker symbolise un instant de poésie romantique libérée de toute contrainte aux yeux d’un spectateur qui ne pourra que se sentir mal à l’aise face à cette même liberté.

Stoker - 1

Le plus étonnant à travers Stoker est que le scénario de Miller permet à Park Chan-wook, à peine arrivé aux États-Unis, d’aborder des sujets ignorés par là-bas. L’on connait du réalisateur cet amusement continuel autour des tabous qu’il malmène toujours avec un certain plaisir. Présent simplement en toile de fond dans Old Boy, l’inceste devient ici figure mère de l’intrigue, non sans un certain sentiment de dégout naissant chez le spectateur. Mais le dégout n’est pas ici un sentiment que l’on rejette, mais que l’on embrasse avec un engouement pervers et étrange. Néanmoins, sa thématique favorite de la vengeance est tout de même présente, mais contrôlée comme une sorte d’excuse à une érotisation massive de certaines scènes. Le désir dans son état le plus pur, voilà ce qui prend forme peu à peu. Le film garde longtemps le mystère sur l’intrigue entourant la mort du père. Pourtant, ce facteur scénaristique nous est mis en place in mediasres, l’on ne le voit que furtivement sur quelques plans, à travers un cadre une photo, et il n’empêche que Park Chan-wook tient en main notre curiosité sur les raisons obscures de sa mort. C’est une fois cet élément bien en main qu’il se permet d’introduire le personnage de l’oncle, cet oncle Charlie qui le jour de l’enterrement de son frère ne porte étrangement pas l’habit mortuaire.
Stoker base son intérêt sur le quotidien de personnages accentués. De cette normalité naît une certaine théâtralité : Nicole Kidman joue la comédienne dans la comédie. A la fois attachée et détachée de la famille qui l’entoure, là où les détracteurs y verront de l’overplaying mal régulé, transparait dans cet univers aseptisé le seul repère offert au spectateur. Cette insistance globale donne alors aux objets une valeur hors-du-commun, presque religieuse.
Park Chan-wook nous l’a déjà prouvé, rien ne peut passer entre les mailles de sa toile. On pourra peut être se demander maintes et maintes fois si le scénario de Wentworth Miller a été écrit à travers la même logique chronologique, mais il n’est pas question ici de faire le procès d’un acteur qui pourrait s’avérer être un génie de la plume. Car Stoker semble bien être le résultat d’une écriture fine et précise tant sa crédibilité tient parfois sur un fil. Mais le fait est que par l’introduction du film à travers une scène dont ne saurait définir dans un premier temps la situation chronologique, le réalisateur coréen nous met en contexte les enjeux complexes à venir. Car la voix off d’India sur laquelle se fondent les images nous hante ensuite à travers tout le film. A travers quelques phrases, chaque personnage est introduit par un objet, image lui même d’un vice, il ne sera d’ailleurs ici question que de l’une des rares évocations par l’image du père. Il devient objet : la ceinture, contre-sens même de sa véritable nature, mais outil dans les mains de cet étrange oncle.

Stoker - 2

Park Chan-wook prend alors le risque de donner toutes les clés au public – à quelques nuances prêt - de l’essence même de son film à travers ces quelques phrases récitées. Par le sang et les fleurs, par une unique phrase, le personnage d’India nous est entièrement offert dans toute sa simplicité. Ce tableau presque fixe ouvrant le film dessine alors le désir et les pulsions humaines qui donneront à l’intrigue ses lettres de noblesses avant de sombrer dans une tourmente humaine dérangeante. Tout au long de cette tourmente, le temps semble graviter plus que d’habitude autour des différents personnages, faisant de ce facteur un nouveau personnage de l’intrigue. Au-delà de l’importance dédiée à cet espace abstrait, le réalisateur dessine aussi une image cyclique, tel un décompte. L’oeuf, les chaussures dessinant une cadran, les pierres sont tant d’accessoires accompagnant une horloge rythmant le récit. Ce dernier objet, contrepoint sonore éphémère, nous oblige à penser au temps qui passe alors que le reste est tu. Là où l’on pourrait entendre tout une multitude de sons, c’est à cet objet précis, où un équivalent, tel que le métronome, qu’on accorde le plus de crédit.
Outre son travail sur le son, Park Chan-wook brise lui même les courbes de son image. Il amène une caméra mouvante comme furtive, se déplaçant derrière les personnages, tel un oeil pervers. Les plans fluides déteignent d’une maitrise parfaite du cadre, de la caméra. La relation de chaque personnage est intrinsèquement montrée par la caméra, par les choix de cadres léchés et rigoureux. Le travail de Chung Chung-hoon, directeur de la photo attitré du réalisateur, magnifie avec finesse cette idée. L’image est d’une beauté folle et envoutante, les personnages se dessinant furtivement à travers quelques ombres tels des fantômes se glissant dans l’esprit d’un autre personnage. Ces images sont à la fois images de l’esprit convoité de ces personnages par un prédateur invisible, et images d’ambitions sinistres. Ainsi l’on garde à la fois une certaine distance avec les personnages, tout en s’immisçant dans leurs espaces vitaux. C’est alors qu’une certitude est posée : tous les personnages sont au final des prédateurs, India peut être même plus que les autres.
Un parallèle logique se forme autour d’eux, alimentant cette ambiguïté incessante. Les émotions ou le vice se partagent étrangement entre chaque personnage, nous empêchant de réellement entreprendre une prise de repère socio-psychologique de ces derniers. India, incarnée avec justesse par Mia Wasikowska, ne se contente pas de ce que toute personne voit. Elle ne peut s’empêcher de s’intéresser à ces petits détails qui pour nous paraissent sans valeur et cette obsession devient pulsion. Si dans le monde qui l’entoure elle ne voit qu’images sans intérêt, de ces petites choses dérivent des instants de plaisir ou d’érotisme. Le parallèle est parfois même poussé dans certains retranchements surnaturels et extra-sensoriels où les personnages dépassent alors la simple relation matérielle. L’ange des neiges devient alors figure reliant dans cette fascination imagée les personnages d’India et Charlie.

Stoker - 4
Car aussi ancré que soit Stoker dans la réalité – appuyé par les décors somptueux de Thérèse DePerez, chef décoratrice de Black Swan -, rendant ses arguments d’autant plus déstabilisants, il est impossible de ne pas prendre en compte le titre du film habillement nommé “Stoker”. Le film nous parle après tout de vampires contemporains dévorés par l’amour, tout comme l’étaient les deux protagonistes principaux d’Entretien avec un Vampire. Ce n’est pas sans raison que se développe un amour éternel et sensuel du corps, des lèvres, et du cou à travers un certain fétichisme qu’exerce Park Chan-wook.
Aux côtés de cette sacralisation, il crée un rapport de force éternel durant le film., le plaçant une fois de plus comme véritable enjeu narratif, mais aussi moral. Mais tout cela ne permet que de façonner le véritable personnage principal du film : l’oncle Charlie. Protagoniste principal oppressant nous renvoyant d’abord à Norman Bateman par son aspect contemplateur, il devient véritable croque-mitaine, se caractérisant étrangement pas un sifflement digne de celui de M (le maudit). De cette base, Park Chan-wook et Matthew Goode développent un véritable enjeu symbolique et érotique. Après tout, le croquemitaine n’a qu’un but : gouter le fruit défendu. Cette sclérose des personnages, sans tomber dans des clichés de peu, se forme autour de différents amalgames que Park Chan-wook s’amuse à mettre en oeuvre pour appuyer cette hypnose. Au cours d’un simple repas, du fait de manger ou non un repas, ou même inconsciemment, il définit la passion d’un personnage pour un autre. Le typique et l’atypique se fondent, nous empêchant de nous ancrer quelque part dans le récit. L’on ressort épuisé du film, perdu et à la recherche d’une idée quelconque nous aidant non pas à mieux cerner le film, parfaitement clair sur ce point, mais à nous positionner par rapport à ce dessin qu’il forme peu à peu. Mais là où le film atteint l’un de ces rares instants dépassant toute considération cinématographique pour nous perdre dans la folie du moment, se déroule au cours d’une apothéose orchestrée par Philip Glass. Rare instant de plaisir charnel poétique, cette délivrance de l’interdit par la musique impose chez le spectateur un instant de désir unique.


Alors que Le Dernier Rempart ne nous rassurait pas sur l’arrivée du phénomène coréen aux États-Unis, Park Chan-wook nous rassure avec Stoker. Plus que nous rassurer, il utilise cette nouvelle opportunité pour nous offrir un film d’une beauté étrange et fascinante. Envoutant, Stoker, aussi éloigné soit-il du cinéma auquel nous a habitué le réalisateur coréen, montre que quelque soit le sujet, ce dernier arrive à en tirer le meilleur. Il ne reste plus que Bong Joon-ho et son Transeperceneige afin de compléter la triplette coréenne.


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    Critique : Cloud Atlas (Andy, Lana Wachowski et Tom Tykwer) /critique-cloud-atlas-andy-lana-wachowski-et-tom-tykwer/ /critique-cloud-atlas-andy-lana-wachowski-et-tom-tykwer/#comments Thu, 14 Mar 2013 21:52:34 +0000 /?p=8004 Cloud Atlas - AfficheA l’heure où l’on dit que les irrésistibles ne font pas long feu, que les auteurs sont voués à se marginaliser pour réussir un projet, les Wachowski continuent à se dresser tel un chef de fil unique dans ce monde qu’est celui du cinéma indépendant. Après l’échec cuisant de Speed Racer, à moitié explicable par son esthétique cloisonnée empêchant le spectateur de se douter du projet intellectuel monté sous cet aspect haut en couleurs, Cloud Atlas, ce projet fou d’envergure, naissait bien loin du temps où n’importe quel studio se serait jeté à bras le corps par la simple mention du nom Wachowski. Cette fois-ci, ils sont rejoints par Tom Tykwer, permettant une peinture complète de cet univers pluricellulaire autrement impossible.
    Et pourtant, après un décalage de sortie invraisemblable en France, confirmant le manque d’assurance de la part de Warner quant à sa distribution et son succès, il est désormais temps pour le film de faire volte-face, et nous rassurer sur la qualité d’une pièce artistique hors du commun.
    Depuis Griffith et ses deux biographies de l’humanité, jamais le terme de fresque humaine n’avait trouvé si belle représentation. Et pourtant, le projet était bien loin d’être le plus facile et le plus évident à réaliser. Le livre de David Mitchell avait été placé précieusement sur cette liste noire des scénaristes : l’inadaptable.
    Cloud Atlas est un récit unique découlant de six autres récits. Séparément, chacune de ces parties se dirige dans différents sens, avec différents buts, tandis que dans leur globalité, c’est une véritable architecture logique et chronologique qui se forme. Si le spectateur pourra la première fois être déconcerté face au résultat filmique qui en naît, véritable tour de force technique, une fois prêt à aborder un tel récit, c’est un nouveau niveau narratif qui s’offre alors à lui. Car l’on pourra dire ce que l’on veut de Cloud Atlas, d’un côté qu’il s’agit d’un film prônant une philosophie de comptoir – tout en philosophant maladroitement sur la nature du sexe de Lana Wachowski, allez comprendre le paradoxe -, qu’il s’agit d’une œuvre incomplète, incompréhensible, mais pour ne pas tomber dans une lecture si simple, peut-être faut-il parfois prendre un peu de recul, et laisser à une telle œuvre, qui le mérite, une seconde chance.

    Cloud Atlas - 1

    Si chacune des histoires semblent à première vue étrangères l’une à l’autre, un fil directeur, prenant la forme d’un héritage infini, renaissant toujours à travers de nouveaux personnages souvent sous la forme de traces écrites, prend rapidement forme. Dans l’œuvre originale, chacune de ces dites histoires étaient abordées de manière indépendante, partant sur une moitié pour s’achever logiquement sur la seconde un peu plus tard. Pour chaque histoire, un personnage récurent, sorte de noyau autour duquel tournent divers électrons prenant eux même part à différents niveaux de chacune de ces histories. Le film s’efforce donc dans un premier temps de nous introduire chacun de ceux-ci, tout en liant d’abord leurs histoires par un procédé ingénieux. Ainsi se met en place le jeu des masques, sorte de bal envoutant, le film démarrant dès les premières minutes. Pour que le spectateur ne se retrouve pas désorienté, une figure se glisse sur deux histoires se chevauchant l’une après l’autre, même durant un court instant, le visage Halle Berry nous permet de distinguer les univers de 1936 et 1973, ou Tom Hanks entre 2012 et 2144. Ces simples apparitions, mêmes courtes, nous fixent peu à peu chaque univers, car même inconsciemment notre cerveau distingue chacune de ces apparitions, dépassant ainsi le simple jeu. Les Wachowski manipulent alors avec aisance le montage devenant soudain libre de tout mur imaginaire, détruisant alors toutes cohérence chronologique pour ne se consacrer qu’à celle narrative. Les limites géographiques, culturelles, ou ethniques fondent alors, ne créant plus qu’une unique entité violente. Cette idée équivoque met alors en abyme le seul sujet inhérent et universel à chaque instant du film : cette réincarnation incessante de l’esprit à travers les âges. Passé cet instant, ces histoires se mélangent rapidement pour n’en faire plus qu’une. Cette histoire unique, naissant de concepts humains, devient l’œuvre d’une vie, non pas étalonnée à une vague tranche d’années, mais à tout ce que celle-ci représente, à travers son âme. Cloud Atlas se place alors d’emblée hors de portée des considérations manichéennes cinématographiques habituelles. Le but n’est pas de peindre vainement les vices de l’humanité. Présents en arrière-plan, contrebalançant les idées des protagonistes principaux, victimes ou mettant à jours ces injustices, c’est dans le libre arbitre et l’assurance d’un secret espoir que se noue la trame narrative. Ce n’est pas à partir du bien ou du mal, ni de la valeur morale de nos actes, qu’est écrite chacune des pages de son histoire, mais par son humanité. Cloud Atlas ne cherche pas non plus à alourdir son sujet déjà explicite par une morale imposante, car face à une telle fresque, elle aurait de toute façon parue désuète et bien trop quelconque pour justifier un tel fardeau critique. Si certaines idées sont ainsi évoquées, ce ne sont à chaque fois que de multiples pans de l’humanité qui nous empoignent à tout instant de notre vie.

    Cloud Atlas - 2

    La répétition de nos erreurs ou encore la quête de rédemption, sont des idées loin de nous être inconnues, pourquoi alors se poser une multitude de questions complexes sur des sujets qui finalement ne font pas que nous parler, mais nous tiraillent tout autant que chaque choix de notre vie, lorsqu’il y a quelque chose de plus grand à raconter ? C’est de là que vient toute la force de Cloud Atlas, chacune de ces six histoires prises séparément ne sont pas toutes si extraordinaires, car représentent finalement la banalité de nos vies. Dans chacune ce sont les choix entrepris par chaque personnage qui changent, et seul l’impact de ces derniers sont nuancés au fil du temps. Œuvre polyphonique, nous envoyant continuellement une légion de messages, voguant sur le rythme du sextet dont il tire le nom, voilà ce qu’est véritablement Cloud Atlas. Tel une troupe de chefs d’orchestres, Lana & Andy Wochowki, accompagnés de Tom Tykwer, dirigent cette œuvre symphonique sans fausses notes. Ainsi, c’est un tout qui en sort, nous empêchant d’accorder une valeur à chaque histoire mais plutôt à cette seule histoire sensible et honnête qui résulte de cette symbiose alors que son final s’abat sur nous. Chaque petit élément prend alors une certaine valeur, certaine thématiques ressortent plus souvent, comme l’idée de l’âme sœur, application idyllique d’un rêve commun. Mais une nouvelle fois, ces idées, tout comme dans Matrix, impliquent de s’accorder un instant de paix, et, si besoin, à élargir notre vision et accepter de croire un instant en une multitude de concepts dont la poésie atteint de véritables sommets, mais qui au jour le jour ne nous touchent pas plus que cela. Cloud Atlas représente dans un sens tout ce dont avaient pu rêver Koulechov & Eisenstein avec leurs idées de montage. Tout le film n’est qu’un enchainement de sensations formulées par la combinaison d’images distinctes. C’est cet emboitement interminable et fascinant qui crée tout l’intérêt de Cloud Atlas, imagerie naissante de ces histoires distinctes. L’histoire de Cloud Atlas, est, telle son morceau, fougueuse, incontrôlable, mais surtout au-delà des images, plutôt entre chacune, formant une image distincte et ensorcelante au sein de notre psyché et non de notre vue, si bien que même une pirouette scénaristique s’oublie dans cet océan d’émotion. Car malgré tous les défauts que certains pourront trouver au film, c’est bien à travers son montage que Cloud Atlas semble mettre d’accord chacun de ses spectateurs. C’est dans cet aspect que le film affiche le plus le génie Wachowski. Il est difficile de croire qu’un tel chef d’œuvre naisse du travail d’un homme comme Alexander Berner, dont les derniers travaux sont loin de pouvoir refléter autant d’ambition et de talent. Tout le monde n’est pas capable de mettre un personnage, au cours d’un même instant, sous deux positions de forces bien distinctes, alors comment le pourraient-il au cours de tout un film ?

    Cloud Atlas - 3

    Chaque instant du film met ainsi en relation une sorte de dualité de séquences, permettant de naviguer entre la tension et les émotions de chaque histoire à partir de liens pas toujours équivoques et nécessaires dans l’image, mais plutôt dans la situation des personnages. Le sauvetage, la vérité, la découverte, l’amour, le mystère, la virtuosité d’un instant apparemment éphémère et unique sont tant de concepts reliant logiquement chaque pas de chaque histoire, empêchant alors le spectateur de se contenter des codes d’un genre, quand il possible de profiter de tous. Cloud Atlas c’est aussi cela, une parfaite compréhension de chaque genre mis en image, pour une histoire. Le drame, le mélodrame, la comédie ou même la science-fiction font alors parti de l’amorce de Cloud Atlas. Cette manière d’aborder ces genres, que ce soit par le biais du travail des Wachoski ou de Tykwer force le spectateur à s’intéresser dans un premier temps à la richesse de chaque univers, à retrouver le genre lui parlant le plus dans cette tempête d’images. Et pourtant, que ce soit à travers le huis-clos se déroulant en 1849 ou dans cet hommage sur-référencé de Neo Seoul, tous deux réalisés par les Wachowski, ou bien dans l’univers comico-british ou dans le polar des années 1970 par Tykwer, tous finissent par se valoir, la faiblesse de certains se compensant rapidement par cette idée de montage en puzzle.
    Néanmoins, durant ses trente dernières minutes, plus rien ne compte plus que cette œuvre devenant une seule après une monté en crescendo de chacun de ses instruments musicaux. La cruauté de certaines images, leur honnêteté dans le travail de la mise en scène, osant tâcher le blanc immaculé d’une seule goutte de sang tranchant avec le reste avant de nous faire sombrer sans préliminaires dans la cruauté pure mélangée à l’espoir, font que le film se dégage de tout canevas. Il ne nous est alors plus permis de douter que Cloud Atlas est bien une seule et unique fresque, sorte de Picasso s’efforçant de nous montrer chaque facette de l’humanité sur une même image, avant de la sauver une nouvelle fois, par la plus pur et artificielle de ces fractions. Celle-ci, jouée par Doona Bae est magnifique dans son rôle, celle qui nomme les gens prophètes devient ce même prophète, voix d’idées universelles et pourtant incomprises d’une humanité plus encline à la répétition qu’à l’innovation de l’esprit. Si les mœurs changent, si les Hommes changent, ce qui les fait Hommes, cette conscience, où cette âme quel que soit le nom que l’on puisse lui donner, semble obstinée, et pourtant encline à changer si la volonté lui est donnée.


    À travers une histoire qui se déroule sur cinq siècles dans plusieurs espaces-temps, des êtres se croisent et se retrouvent d’une vie à l’autre, naissant et renaissant successivement… Tandis que leurs décisions ont des conséquences sur leur parcours, dans le passé, le présent et l’avenir lointain, un tueur devient un héros et un seul acte de générosité suffit à entraîner des répercussions pendant plusieurs siècles et à provoquer une révolution. Tout, absolument tout, est lié.


    Entre les critiques exécrables et la fratrie Wachowski, il n’y a presque qu’un pas à faire pour être catégorisé et voir son avis vaporisé en quelques secondes. Représentant à la fois tout ce que les deux réalisateurs ont toujours aimé mettre en scène et une histoire ambitieuse, Cloud Atlas devient un véritable chef-d’œuvre humain. Si en revanche vous n’avez pas été touché par la force de son propos la première fois, que votre œil n’a pu se concentrer que sur son montage, n’hésitez pas à revoir le film, et à laisser quelques larmes suivre ce nouveau plein d’émotions.
    Titre Français : Cloud Atlas
    Titre Original : Cloud Atlas
    Réalisateur : Andy, Lana Wachowski & Tom Tykwer
    Acteurs Principaux : Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent
    Scénario : Andy, Lana Wachowski et Tom Tykwer D’après l’oeuvre de David Mitchell
    Photographie : John Toll & Frank Griebe
    Compositeur : Tom Tykwer, Johnny Klimek & Reinhold Heil
    Genre : Drame, Science fiction, Thriller
    Durée : 02h45min
    Sortie en Salles : 13 mars 2013

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    Critique : Antiviral (Brandon Cronenberg) /critique-antiviral-brandon-cronenberg/ /critique-antiviral-brandon-cronenberg/#comments Sat, 02 Mar 2013 18:31:50 +0000 /?p=7872 Antiviral - AfficheRien qu’en soit, l’épreuve du premier long métrage pour un cinéaste est un cap incroyablement difficile à passer. Qu’en est-il alors lorsque l’on porte le nom de son père, en l’occurrence Cronenberg? David avait fait ses preuves dès le début des années 1970, en s’affirmant comme un réalisateur essentiel car portant des thématiques reconnaissables et récurrentes d’un film à l’autre.
    Mais le principal intéressé ici est Brandon, et la question est évidemment de savoir s’il est capable avec Antiviral de se montrer à la hauteur de son père. La réponse est définitivement oui, et lorsque l’on prend en plus conscience de toute la pression émise sur ses épaules rien que par le nom qu’il porte, on ne peut que féliciter le jeune cinéaste, âgé d’à peine 27 ans.
    Là où l’on peut même aller jusqu’à l’applaudir, c’est en voyant qu’avec Antiviral, il se sert même de ce nom, ou plutôt de ce que l’on connaît en matière de vision cinématographique liée aux films de Cronenberg père, car il s’influence grandement de l’univers de ce dernier pour livrer un film extrêmement prometteur pour la suite de sa carrière.
    Ce n’est pas pour rien si le nom de David Cronenberg est récurrent lorsque l’on parle d’Antiviral. Car même si ce n’est pas son film mais celui de son fils, cela saute aux yeux que ce dernier, bien plus qu’en tant que simple influence, se sert de l’image que le grand public connaît de son père (ce qui est d’autant plus amusant que la question de l’image est primordiale dans ce film) pour mieux déjouer les attentes et se créer un univers très personnel, aussi bien dans les thématiques que dans l’esthétique. Des thématiques justement, on retrouve en écho à un cinéma plus ou moins lointain celles de la mutation des corps, des transformations, et autres choses horrifiques servant un ressenti glauque, voire morbide.

    Antiviral 1

    Antiviral étant un film d’ambiance par excellence, c’est donc dans ce penchant vers l’insalubre que les influences de David Cronenberg se perçoivent, mais aussi dans le découpage très minutieux et tactique des séquences. Il s’en trouve ainsi malsain rien que dans le sujet : Syd March, le héros, formidablement interprété par Caleb Landry Jones, travaille pour le compte d’une grande entreprise et vendant à ses clients des virus que les stars ont elles-mêmes contractées.  Antiviral se pose donc dès ses premières images comme un film extrêmement clinique, le malaise est bien présent et ne nous quittera pas du début à la fin. C’est grâce à la mise en scène que l’atmosphère morbide se ressent, notamment dans les décors, que ce soit l’entreprise ou l’appartement de Syd, lieux aseptisés au possible et où chaque objet semble faire tâche dans des pièces immaculées de blanc, appuyés par une photographie très recherchée. Aussi bien dans les cadrages, très minutieux quoique parfois redondants ou incompréhensibles dans la gestion de l’espace, que dans les jeux de lumière, souvent en surexposition, tout est fait pour que le spectateur ne se sente pas à sa place. Les blancs cliniques des décors utilisés en contre-emploi d’un univers glauque sont toujours ponctués de tâches de couleur (ou de noir), souvent du sang, qui arrivent en tant qu’éléments de gêne visuelle, mais aussi de fascination de l’œil pour le plan qui se dessine. La démarche est casse-gueule mais s’avère brillante, car elle dessert pour le coup à merveille une histoire et des personnages partageant les mêmes symptômes.
    Mais ce malaise ne serait pas aussi perceptible que cela s’il n’était pas validé par un postulat de base digne d’un grand film d’anticipation, à la différence près qu’il prend place dans notre monde contemporain. La première partie du film démontre un rapport assez cruel du réalisateur au monde : en prenant pour cible le star system actuel, il pousse la problématique du rapport des idoles à leurs stars dans ses derniers retranchements. Fini les autographes, ce sont maintenant les maladies des stars qui s’achètent à prix d’or pour se les injecter directement dans son propre corps.
    Le plus choquant dans Antiviral, c’est le fait que Brandon Cronenberg dépeigne un monde certes fantasmé, mais paradoxalement profondément réaliste dans son traitement. Et c’est probablement cette volonté de représenter une société de façon terriblement réaliste qui rend le film crédible et donc terrifiant. Après tout, qui sait si notre système actuel, capable d’aller toujours plus loin dans l’inconscience, n’arrivera pas un jour à un tel niveau d’absurdité ?

    Antiviral 2

    Il y sonde le caractère humain, pousse la bêtise visible aujourd’hui dans ses derniers retranchements. C’est ce sens de la caricature (ici non pas au sens « risible » du terme) qui finalement rend sa comparaison à  notre société contemporaine d’autant plus virulente et effrénée, et donc palpable. Les clients du laboratoire où travaille Syd sont forcément des gens fortunés, les échantillons de virus étant prélevés directement sur le corps de la célébrité malade, mais on se trouve bien loin de l’hystérie que peuvent aujourd’hui avoir certains admirateurs lorsqu’ils rencontrent leur idole. Ici, les patients (car ils sont bien réduits à un contexte médical) ne semblent même pas heureux de « posséder » en eux la maladie, ils se la font injecter comme on leur injecterait une drogue, ils paraissent sans émotions. Le réalisateur met en images une vision assez apocalyptique de la « race » humaine en tant que groupe d’individus, les relations entre les Hommes sont à l’image de tout le film, extrêmement froides, ils ne dégagent pas une quelconque émotion les uns envers les autres.
    Les vices de l’être humain sont même poussés à leur paroxysme à travers le personnage de Syd, qui, au lieu d’être un employé intègre (certes, au sein d’une entreprise totalement capitaliste dont il y aurait des choses à redire sur les intérêts, mais il semble au début en respecter les règles), se voit lui aussi affublé d’une perversité certaine, et c’en est même le tournant majeur du récit, lorsque l’on apprend qu’il s’injecte dans son propre corps les virus appartenant à la compagnie, pour ensuite les revendre au marché noir. C’est au moment où il apprend que l’un de ces virus est mortel que le film prend une toute autre tournure : s’il gardera toujours son aspect glauque, il prend cette fois-ci le chemin du thriller, Syd étant pourchassé par des trafiquants cherchant à récupérer la maladie mortelle qu’il s’est injecté. Jusqu’au bout, le film prend un ton fataliste, sans pour autant être plombant. Et si la deuxième partie du film prend parfois des chemins un peu trop sinueux pour ce qui n’est encore qu’un premier long-métrage, s’empêtrant dans une intrigue trop complexe car manquant de suspense, Antiviral se montre toujours passionnant et électrique dans son propos rageur envers la société. A cela s’ajoute une bien belle pique aux médias, qui dans le film se font vecteur de non-information, problème on ne peut plus contemporain de la reprise d’actualités non vérifiées mais tout de même transmises au monde entier. Même topo pour les stars, montrées en boucle sur des écrans de télévision et sous des angles les plus avantageux, le culte de l’apparence est immédiatement détruit dès qu’Hannah Geist, star exclusive à l’entreprise de Syd, est montrée malade et impuissante, au fond de son lit.
    Des célébrités mourantes, le (anti-)héros dépeint comme un personnage tiré tout droit d’un film d’horreur et aux ambitions très ambiguës, Antiviral est bel et bien un film sur la destruction par l’absurde, que ça soit des mythes, comme de l’humanité en général. Il est seulement regrettable que par moments le film soit plus une envie personnelle du réalisateur de transposer un univers personnel qui lui tient à cœur, qu’une histoire qui aurait pu être plus accessible, ce qui le ferme au public à certains instants. Antiviral est aussi un film de souffrances, de personnages finalement tous victimes tôt ou tard de ce système extrême où ils n’évoluent plus, mais régressent dans un univers totalement désespéré.


    La communion des fans avec leurs idoles ne connaît plus de limites.
    Syd March est employé d’une clinique spécialisée dans la vente et l’injection de virus ayant infecté des célébrités. Mais il vend aussi ces échantillons, pour son propre compte, à de puissantes organisations criminelles. Sa méthode pour déjouer les contrôles de la clinique : s’injecter les virus à lui-même…
    Mais ce procédé va s’avérer doublement dangereux : porteur du germe mortel ayant contaminé la star Hannah Geist, Syd devient une cible pour les collectionneurs…


    Quand le fond épouse la forme à un tel point que le malaise vécu par le personnage principal prend vie chez le spectateur tout le long du film, c’est que la recette fonctionne. Sacrément malin pour un premier film, Brandon Cronenberg joue avec le cinéma de son père pour créer son propre univers, et fait d’une pierre deux coups en nous faisant retenir son prénom.
    Titre Français : Antiviral
    Titre Original : Antiviral
    Réalisation : Brandon Cronenberg
    Acteurs Principaux : Caleb Landry Jones, Sarah Gadon, Malcolm McDowell, Douglas Smith
    Durée du film : 1h44
    Scénario : Brandon Cronenberg
    Musique : E.C. Woodley
    Photographie : Karim Hussain
    Date de Sortie Française : 13 Février 2013

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    Critique : Le Dernier Rempart (Kim Jee-woon) /critique-le-dernier-rempart-kim-jee-woon/ /critique-le-dernier-rempart-kim-jee-woon/#comments Thu, 31 Jan 2013 09:20:14 +0000 /?p=7761 120X160 Rempart C« I’ll be back », ce petit bout de phrase, simple, court et pourtant si fantasmé a pris aujourd’hui l’ampleur et l’image d’une campagne marketing rêvée sur plusieurs dizaines d’années. Le « I’m back » a ainsi fait son effet un peu partout lorsque le Terminator autrichien a commencé à sortir le bout de son nez. Avec The Expendables 2 il n’était que caméo, à la fois un pied dedans et un pied en dehors du projet botoxé de son copain Sly. Et pourtant, ce bon Bruce Willis avait bien raison en lui répondant « You’ve been back enough » alors que le film profitait une énième fois avec mépris des punchlines qui avaient tant marqué notre culture. C’est surement en pensant à son nouveau film : Le Dernier Rempart, que faisait référence Bruce Willis en lui répondant cela.
    Et pourtant, derrière la caméra, il y avait l’homme qu’il fallait pour nous faire rêver : Kim Jee-woon, ce coréen dont la filmographie impose le respect internationalement, et ce, dans bien des genres avec des films tels que J’ai Rencontré le Diable ou Le Bon, La Brute et le Cinglé. Mais voilà, avec le temps, on a pu voir que les réalisateurs contemporains asiatiques s’échouant sur le continent américain avaient souvent tendance à se planter face contre terre lors de leurs tentatives, découvrant amèrement le système de production occidental. Dans ce rôle, Lorenzo di Bonaventura, presque aussi important que Schwarzy lui même, est surement la main entravant entièrement la fièvre créatrice de Kim Jee-woon et nous amenant à considérer à tort ou à raison le film comme ce qu’il est sans doute : un film de commande dans son moins bon sens.

    Le Dernier Rempart - 1

    Schwarzy est un l’une de ces icones dont on a oublié la véritable qualité, bonne ou mauvaise, avec le temps, Terminator, True Lies, Conan ou encore Last Action Heroes l’ont amené à un statut aujourd’hui incontestable. Pourtant, Le Dernier Rempart vient nous rappeler froidement sa vraie nature et son jeu trop souvent artificiel pour paraitre une seconde naturel quand il est question d’aligner deux mots de dialogues. L’acteur, de retour de sa retraite, doit faire face à ces défauts qu’il a su cacher en débutant sa carrière via des rôles plus muets que parlants, lui laissant le temps d’apprendre les ficelles du métier et de devenir le colosse qu’il était. En plus d’avoir pris un coup de vieux, normal à son âge, transparaissent de grosses lacunes, n’hésitant pas à en faire des caisses pour se rassurer derrière un jeu plus qu’approximatif. Heureusement, le film ne se consacre pas trop et ne repose pas que sur Schwarzy, exit les blagues qui supportaient à elles seules, avec honte, le maigre scénario de The Expendables 2, qui auraient facilement pu être débitées à la seconde vu que le personnage semble être plus intéressant par son background plutôt que par son avenir aux yeux de nombreux producteurs. Cette retenue est sans doute l’une des rares qualités du film, jusqu’à ce qu’il se permette enfin de démarrer après que la moitiée du film se soit déjà écoulée. Pour cela, on remerciera Johnny Knoxville (Jackass) et Luis Guzman (Boogie Nights), avant qu’ils ne laissent la main à un Schwarzy un peu plus éveillé et nous rappelant enfin ses plus belles heures le temps de quelques scènes. Mais une fois encore, rien de vraiment dingue au final. Tout du moins, rien qui ne nous rappelle pas déjà quelques passages de Le Bon, la Brute et le Cinglé. Le film n’arrive jamais à assumer cette aspect second degré avec lequel il jongle par moments, avant de redevenir faussement sérieux à travers son scénario aussi bourrin que lourd.

    Le Dernier Rempart - 2

    Et pourtant, par ses plans, ses idées de montages, ses jeux de champ contrechamp, Kim Jee-woon s’amuse de nouveau avec les règles du western et fait un travail propre, aidé de Ji-Yong Kim avec qui il a travaillé sur A Bittersweet Life, stylisant avec brio le passage du film : la course, ou voitures deviennent destriers lors d’un dernier duel. Cette vision, en filigrane est d’autant plus frustrante lorsque l’on voit les rendus médiocres dont s’est contenté la production lors de quelques passages requierant l’utilisation du fond vert. L’on ne pourra pas tout reprocher à la production, Kim Jee-woon, reste bien loin de ses plus grands films, malgré la matière qu’il avait entre le main, lui permettant le temps d’un film de réaliser un bon film d’action old-school. Alors que tout le film repose sur cette idée, du « dernier rempart », la tension autour de cette ville n’est jamais vraiment évidente, le déroulement de l’histoire, téléphoné et prévisible, ne s’impose jamais comme une véritable guerre entre ce petit comté et l’icône d’une mafia moderne. Faute surement à Eduardo Noriega, le dit chef, trop peu charismatique, et anecdotique pour s’imposer face à la carrure de Schwarzy. Il ne faut pas non plus chercher dans Le Dernier Rempart quelconque étude de tout ce trafic illégal frontalier entre le Mexique et les Etats-Unis. Bourrin, survitaminé lorsqu’il s’autorise enfin à décoller, le film ne dépasse malheureusement jamais l’idée d’une scène, trop léchée et calibrée pour transporter le tout un peu plus haut et devenir le véritable hommage à toute une génération.


    Un shérif américain vivant prêt de la frontière mexicaine tente d’arrêter le chef d’un cartel de drogues avant que celui-ci ne s’échappe à Mexico.


    L’on attendait du Dernier Rempart pas grand chose, et le résultat ne dépasse pas nos attentes, le film n’a finalement pour visée que de ramener Arnold Schwarzenegger d’entre les morts, histoire de le mettre un peu en avant pour son propre projet : la suite de Conan. À Kim Jee-woon, l’on souhaitera de ne pas trop s’embourber dans le système américain.
    Titre Français : Le Dernier Rempart
    Titre Original : The Last Stand
    Réalisation : Kim Jee-Woon
    Acteurs Principaux : Arnold Schwarzenegger, Forest Whitaker, Johnny Knoxville
    Durée du film : 01h47min
    Scénario : Jeffrey Nachmanoff et George Nolfi d’après un sujet d’Andrew Knauer
    Musique : Mowg
    Photographie : Ji-Yong Kim
    Date de Sortie Française : 23 Janvier 2013

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    Critique : Cogan – Killing Them Softly (Andrew Dominik) /critique-cogan-killing-them-softly-andrew-dominik/ /critique-cogan-killing-them-softly-andrew-dominik/#comments Thu, 06 Dec 2012 19:03:34 +0000 /?p=7263 Avec L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, Andrew Dominik est passé soudainement sur le devant de la scène, réalisant l’un des plus beau chefs d’oeuvre de la décennie sur un genre considéré alors comme déjà asséché de toutes idées. Son nouveau long-métrage présenté à Cannes, alors reçu de manière mitigée, a entre-temps été retitré maladroitement Cogan : Killing Them Softly en France. Andrew Dominik s’attaque cette fois-ci au cinéma policier, genre qu’il avait déjà eu l’occasion de traiter dans Chopper. De nouveau il s’éloigne de son pays d’origine qu’est l’Australie afin de concrétiser une œuvre complète en donnant une âme à un pays entier et à ses habitants. Car si il décide d’incruster son histoire en Amérique, ce n’est pas seulement pour offrir une base à son récit et profiter d’une matière déjà existante, mais bien pour la revisiter et traiter son sujet avec honnêteté.
    Difficile d’imaginer qu’Andrew Dominik puisse réaliser de nouveau le même exploit, et pourtant, c’est sans mal qu’il remet le couvert, nous offrant tout un univers, image d’une vérité souvent rejetée. Avec ce nouveau film, il nous offre une œuvre se nourrissant constamment de son contexte politique, et n’oubliant jamais qu’il repose entièrement sur une mythologie urbaine, en somme, il rend hommage à ce qui fait l’essence même du genre qu’il aborde, tout comme il avait su le faire avec le western. C’est en comprenant cette approche que l’on peut accepter tant de différences entre ses deux derniers long-métrages.

    Deux petites frappes, sous la solde d’un criminel quelconque, tentent et réussissent le braquage d’un salon de poker privé. Intervient alors Cogan, engagé pour mettre fin à cet instant de gloire, de ses actions, interviennent alors les instances cachés de la société et de la mafia liée à cette affaire.
    L’histoire de Cogan : Killing Them Softly n’est pas en soit la plus originale, s’éloignant en plus de l’oeuvre d’origine L’Art et la Manière de Higgins, ne mettant pas autant Cogan au centre de son récit, n’approfondissant délibérément pas autant la psychologie du personnage. Les personnages d’Andrew Dominik forment alors peu à peu une fresque humaine. Il n’y a ainsi aucun personnage principal, ni d’aspect manichéen, tout le récit se construit autour de chaque personnage un peu à la manière du travail de Cronenberg ou Friedkin sur Killer Joe, sauf que chez le réalisateur australien, le monde autour d’eux existe avec autant de force que ses habitants. La première et seule femme intervenant dans le récit est une prostituée, et pourtant, loin de refléter son image habituelle, à priori misogyne, il souligne le fait que ces dernières, inexistante au seins cette facette corrompue en sont pourtant les saintes, seules lumières et ancres avec la société dans laquelle évoluent ces malfrats. Et même si il est évident que Brad Pitt reste la tête d’affiche, que son iconisation est immédiate nous l’introduisant avec autant de force que sait le faire Paul Thomas Anderson, tous les personnages prennent par à l’évolution du récit, et ce, grâce à une compréhension parfaite de la part du réalisateur et de ses acteurs. Si autant de minutie aurait pu nous amener à découvrir des personnages experts, ce n’est jamais le cas, les personnages sont constamment en évolution, s’entre choquant les un les autres, malgré toutes leurs capacités, toujours prêts à s’adapter.

    Tout comme avec Jesse James, Andrew Dominik s’inscrit d’abord dans un genre avec une compréhension totale pour ensuite le revisiter entièrement et lui rendre hommage. Chaque plan est affaire de symboles, ce long couloir qu’empruntent le duo de voleur au cours de leurs braquage, est semblable au couloir de la mort. Ainsi, chaque fait est accompagné de la même inspiration visuelle. Même si l’on est bien loin du lyrisme de Jesse James, le travail effectué sur Cogan est bien loin d’être moins riche, l’on trouve notamment un scène similaire au travail spirituel et fou effectué sur Blueberry de Jan Kounen. Andrew Dominik s’attaque naturellement au genre qu’il traite, afin de ne jamais donner à son film un propos sur-réaliste, hors-sujet. Avare en plan, très sobre, allant à l’essentiel, ce parti pris lui permet une composition impressionnante de son récit. Chaque séquence se suivent avec une fluidité envoutante, les différentes histoires parallèles, chacune traitées avec autant de justesse que de profondeur, ne laissant jamais un personnage au second plan, toutes réflexions impliquent une suite, une conséquence. Mais là où l’on aurait pu s’attendre à une véritable faiblesse, là où il y aurait eu matière à être déçu, le nom de Nick Cave ne figurant pas à la place du compositeur, c’est à la musique. Et pourtant, Andrew Dominik nous montre avec autant de séduction, qu’il est bien capable d’aller encore plus loin, offrant une nouvelle dimension au travail sonore. La musique, le son, ensemble qui devient rapidement représentatif d’images masqués, devient parole performative. Ce n’est pas pour rien que l’on démarre sur Johnny Cash, symbole américain. Mais au-delà de la musique, le son accompagnant chaque mot va même jusqu’à nous offrir les images dont nous sommes amputés. Les flashbacks prennent alors forme dans nos esprits simplement à l’aide de sonorités et de paroles.

    Mais ces paroles servent aussi un autre dessein, celui du pays qu’il traite. Car au-delà de son récit d’une précision fascinante, c’est dans son message que Cogan impressionne. Andrew Dominik ne se contente par de changer les personnages de l’oeuvre d’origine, il change aussi le niveau de langage, rendant les malfrats plus philosophes que grossiers. Jamais trop vulgaires dans la parole, malgré sa quantité impressionnante, ils ne passent pas leurs temps à jurer, et ne parlent pas pour ne rien dire, mais seulement pour parler de sujets importants, de leurs vies, d’eux-même, loin des dialogues humoristiques, décalés auxquels l’on aurait pu s’attendre.
    Ces différents dialogues sont constamment accompagnés de ceux de George W.Bush et de Barack Obama, ce fond de discours, pur symbole américain, est constamment mis en parallèle avec ceux des personnages. Jusqu’à ce que Cogan fasse le choix de ne plus rester sourd, muet à ce qui ronge son pays, et de reprendre les propos qu’il entend tout comme nous tous spectateurs le faisions dans nos esprits. L’individualisme est une vérité qui doit être admise, après tout, Cogan ne semble-t-il pas être le plus heureux des hommes, libre d’aller et de faire ce qu’il veut, de garder l’anonymat quand il lui plait? Toutes les instances ne sont qu’autres mots pour désigner une pègre, elles répondent toutes aux mêmes critères, aux mêmes demandes, leurs actions sont seulement plus “dignes”, moins transparentes. Il serait chimérique que d’en croire le contraire, qu’autant de facilité ne puisse faire succomber l’Homme, et pourtant l’histoire est aussi celle de deux petits hommes, se dressant face à ce système, si bien rodé, si bien huilé. Car, si un changement doit avoir lieu, ce n’est pas dans la minorité, mais bien dans cette humanité déjà corrompue, qu’il doit naitre. Le grain de sable est toujours là pour faire dérailler la machine et c’est seulement dans cette dernière qu’il peut apparaitre, nul part ailleurs.


    Lorsqu’une partie de poker illégale est braquée, c’est tout le monde des bas-fonds de la pègre qui est menacé. Les caïds de la Mafia font appel à Jackie Cogan pour trouver les coupables. Mais entre des commanditaires indécis, des escrocs à la petite semaine, des assassins fatigués et ceux qui ont fomenté le coup, Cogan va avoir du mal à garder le contrôle d’une situation qui dégénère…


    Pour ceux qui limiteraient Andrew Dominik à L’Assassinat de Jesse James par le Lâche Robert Ford à son aspect si léché et poétique, à ses convictions humaines, seule la déception peut les attendre tant Andrew Dominik transcende de nouveau un autre genre de nouveau. Il faut accepter Cogan : Killing Them Softly comme une œuvre à part entière, dont la seule signature unique se trouve dans la technique et dans l’ambition démesuré de son réalisateur. Mais surtout, il faudra s’attendre au même résultat avec son prochain film, surement déroutant dans un premier temps, mais surtout de nouveau à d’autres antipodes cinématographiques.
    Titre Français : Cogan – Killing Them Softly
    Titre Original : Killing Them Softly
    Réalisation : Andrew Dominik
    Acteurs Principaux : Brad Pitt, Scoot McNairy, James Gandolfini
    Durée du film : 01h40min
    Scénario : Andrew Dominik d’après l’oeuvre de George V.Higgins
    Musique : Jonathan Elias & David Wittman
    Photographie : Greig Fraser
    Date de Sortie Française : 5 Décembre 2012

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    [CRITIQUE] Mortem /critique-mortem/ /critique-mortem/#comments Sun, 23 Sep 2012 12:13:15 +0000 /?p=6582 Intriguant. C’est le premier mot qui nous vient à l’esprit la première fois que l’on entend parler de Mortem. Auréolé de récompenses, 18 en tout, glanées à la suite de plus de 30 nominations dans une flopée de festivals internationaux, on ne sait pourtant pas grand-chose sur le film avant de l’avoir vu. Jusque dans ses trailers qui parviennent à nous transporter encore un peu plus dans le flou, le mystère est complet, à l’image de l’ambiance qui se dégage dans le film.

    Comparé par la presse américaine à David Lynch ou encore à Ingmar Bergman, Eric Atlan offre certes à ces réalisateurs un hommage dans ses thématiques abordées, mais tout en gardant une vision très personnelle de ce qu’il écrit et met en scène. Véritable homme à tout faire, le réalisateur enfile aussi la casquette de chef opérateur, et se partage la tâche sur la composition musicale ainsi que sur le scénario. Seuls les dialogues, sur lesquels il s’est entièrement basé, ne viennent pas de lui, mais de sa collaboratrice.
    En résulte un film très personnel, aux qualités indéniables et renforcées par son penchant hors-normes, ne se rattachant à aucun genre, où bien à tous les genres.

    Dans son ouverture, Mortem semble lorgner vers le film noir d’époque. Une femme à moto et une voiture roulent sur une route qui paraît infinie, mais l’accident que l’on suppose imminent n’arrivera pas, et au lieu de cela, la moto se « dédouble », laissant apparaître une deuxième femme. Cette exposition contribue à une atmosphère posée mais paradoxalement tendue, sans aucune parole mais avec des visages assez expressifs filmés en gros plan pour nous laisser dans le flou. L’ambiance pesante s’épaissit à leur arrivée dans un hôtel lugubre, sans âme qui vive hormis deux inquiétantes jeunes femmes  présentes pour les accueillir. Leur entrée dans ce lieu s’annonce comme un voyage sans retour dès lors qu’elles se retrouvent toutes deux enfermées dans une chambre de cet hôtel.
    Une moto, une voiture, une chambre d’hôtel, un lit, un miroir, il n’y a finalement pas plus d’objets que nécessaires dans Mortem, qui se pose d’entrée de jeu comme un huis-clos minimaliste, où les personnages sont la seule clé de l’intrigue. Du film noir d’ouverture, il en restera l’ambiance, car le film est difficilement classable dans un genre défini tant il touche de nombreux thèmes. Du drame il emprunte le code de personnages perdus et qui ont leur destin en main, du thriller il garde le suspense ambiant. Et là où il devient véritablement intéressant et plus profond qu’il ne le laisse suggérer, c’est dans son imbrication dans le fantastique. Grâce à plusieurs twists disséminés le long du récit, Mortem dégage sa piste de réflexion, car il s’agit bien de réflexion ici, autour du vaste thème qu’est la mort
    Qui sont ces femmes ? Pourquoi sont-elles ici ? Quel est leur passé, leur liens ? Ce n’est finalement pas le plus important dans l’immédiat, le réalisateur préférant s’intéresser à l’action dans le moment présent, tout en traitant paradoxalement de thèmes qui balayent toute une vie. Le temps d’une soirée, ou d’une nuit on ne sait pas trop, la notion de temps étant logiquement flouée, le spectateur va assister à la lutte de la première femme, Jena, contre sa propre mort. Face à face avec son âme, qui se trouve matérialisée en une femme à la beauté plus que troublante, elle va devoir jouer de ses ressources pour changer son destin. Cette âme justement, porte quelque chose d’ambigüe, tendant presque vers une certaine idée de la tentation : quel est finalement le rapport qu’entretient ce corps immortel avec la mort ?

    Cette chambre d’hôtel sert de lieu fantasmé, où, comme dans un rêve, des choses que l’on peut qualifier de surnaturelles se passent. Toujours dans la thématique de brouillage de cette frontière entre la vie et la mort, les corps et les objets se déplacent sans pour autant bouger, en témoigne l’apparition d’un troisième personnage, Aken, qui aura son importance dans le dénouement de l’intrigue.
    Saluons l’audace du réalisateur, qui livre ici une œuvre refusant les normes de production actuelles, ce qui aboutit logiquement à un film qui se vit telle une expérience plus qu’il ne se laisse simplement regarder. Véritable réflexion sur des thèmes tels que le salut de l’âme et la mort, Mortem ne ressemble à aucun autre film, alors qu’il aborde pourtant des sujets qui vont toucher l’humanité entière, tout en reçu différemment selon la culture de chacun. Film de tous les fantasmes, il présente aussi une tension très érotique dans l’ensemble. Eric Atlan aime évidemment ses actrices, et il ne se cache pas de le montrer. De ces deux esprits torturés, il en tire les faiblesses pour les rendre plus vulnérables à nos yeux, et en dégage une beauté insondable. En résulte, comme témoin extrême de volupté, une scène lesbienne hypnotisante, d’une part par la manière dont sont filmés les corps, mais aussi et surtout par les paroles de l’actrice, inattendues et donc assommantes.
    La photographie, si elle trouve parfois ses sources assez hasardeusement sur certains plans, offre un splendide noir et blanc, toujours dans l’idée de sublimer ses actrices. Il en va de même pour la bande-son, avec un thème principal qui confine au sublime, et qui s’impose presque comme un nouveau personnage tant sa présence est appuyée. Mortem, se sont donc de nombreux détails mis en place, comme des dialogues à peine audibles et prêtant à confusion, toujours dans l’optique de brouiller la frontière entre la vie et la mort. Si certains partis-pris sont par moments maladroits, on aime surtout ce film car il ose quelque chose de différent, et reste d’un envoutement assez formidable.

    Mortem se démarque clairement de la grande majorité des productions françaises actuelles. Eric Atlan ose des partis-pris risqués, et même si ces derniers ne sont pas toujours parfaits, le résultat final est une expérience intense qui ne ressemble à aucun autre film. Réflexion sur les états humains, les rapports entre les corps, le film magnifie ses personnages pour une oeuvre marquante et bluffante.
    Titre Français : Mortem
    Titre Original : Mortem
    Réalisation : Eric Atlan
    Acteurs Principaux : Daria Panchenko, Diana Rudychenko, Stany Coppet
    Durée du film : 01h34
    Scénario : Marie-Claude Dazun, Eric Atlan
    Musique : Eric Atlan et Marc Bercovitz
    Photographie : Eric Atlan
    Date de Sortie Française : 3 Octobre 2012
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    [CRITIQUE] Insensibles /critique-insensibles/ /critique-insensibles/#comments Fri, 14 Sep 2012 22:48:45 +0000 /?p=6123 Étrange Festival 2012 – Catégorie « Compétition Nouveau Genre »

    Insensibles nous a été présenté ni plus ni moins comme « le film de l’année », étant un « chef d’œuvre absolu ». Sur le coup, ça calme. Et ça met aussi la pression, pour nous comme pour l’équipe du film.
    Le film est le fruit d’un travail en amont de plus de 6 ans. D’abord engagé comme une production française, le manque de fonds sur le territoire obligea l’équipe à migrer en Espagne, où la majeure partie du film  a vu le jour. Le réalisateur franco-espagnol Juan Carlos Medina signe donc ici son premier film, somme toute plus espagnol qu’autre chose dans son traitement. Brutal, dérangeant, Insensibles a tout pour mettre le spectateur dans une position inconfortable. Et c’est encore plus prenant lorsque le film est maîtrisé de bout en bout.
    Il y traite habilement de thèmes souvent casse-gueule, en particulier celui du secret et autres mystères enfouis que son héros va tenter d’élucider. Habile car il y appose en filigrane un pan de l’Histoire que son pays n’arrive pas à oublier, à savoir le franquisme. La Seconde Guerre Mondiale et le régime totalitaire sont mis en parallèle avec le traitement des enfants « anormaux », et tente de définir la notion de monstre ainsi que d’y apposer un visage. Concrètement, ce monstre va successivement passer d’une personne à une autre au fur et à mesure de l’avancement du film, permettant de changer à la fois le ton du récit et l’empathie du spectateur pour les personnages, malgré le malaise ambiant.

    © Distrib Films

    En introduisant son film en double récit, le réalisateur instaure son fil directeur qu’il gardera du début à la fin. D’un côté il entre brusquement dans la vie d’un chirurgien, David Martel, à notre époque. Un accident de voiture va changer sa vie : il perd sa femme, et apprend durant son hospitalisation qu’il est atteint d’une maladie qui peut lui être fatal. En parallèle, la seconde intrigue se tient à l’aube du XXe siècle, mettant en scène des enfants insensibles à la douleur, et qui vont être enfermés à vie, les médecins d’alors pensant qu’ils peuvent être extrêmement dangereux. Arrachés des bras de leurs parents, le ton est donné : la cruauté est bien présente, et instaure une ambiance extrêmement malsaine. Pour mieux procurer ce sentiment, Juan Carlos Medina s’attarde sur deux de ces enfants, rendant ainsi le choc du traitement encore plus puissant. Le pouvoir de destruction de ces gamins, finalement fondamentalement innocents, puis des adultes, qui eux sont conscients de leurs actes, instaure une atmosphère lugubre. Les rapports de forces sont terriblement injustes, et le réalisateur joue justement avec nos nerfs jusqu’à contrebalancer de manière plutôt attendue ces positions de domination.
    Tout le long du film, ces deux récits vont s’alterner, et l’on se doute assez vite des différents liens narratifs entre eux, et qui aboutira d’ailleurs à une rencontre assez bluffante en guise de conclusion. Parfois pénible et poussive, la construction reste tout de même foncièrement efficace, les genres se brouillant facilement, nous faisant perdre nos repères et garder cette dimension précaire et pesante. En usant d’un contexte historique difficile à traiter (de surplus pour un premier film) pour mettre en place toute son histoire, qui relève presque de l’anecdotique à cette échelle, Medina ne manque pas d’ambition. Il octroie à chacun de ses personnages une quête, un objectif comme une lueur d’espoir dans l’univers sombre dans lequel ils vivent. Une mélancolie se dégage même de cet acte, car on sait ces personnes perdues, leur existence est scellée, quelle que soit la cause de leur mal.
    Le travail effectué sur la photographie est tout aussi mémorable, elle épouse le récit, souvent très sombre, et dégage une mélancolie presque fantastique, laissant transparaître dans ses plans quelques brins de lumière, lueur d’espoir pour les personnages, dont c’est la seule espérance dans leurs vies de condamnés.

    © Distrib Films

    Insensibles se pose la question de la monstruosité, surtout au moment de l’internement des enfants : ces derniers sont-ils la véritable manifestation du Mal, par leurs caractéristiques physiques hors-normes, ou alors sont-ce les médecins, qui gardent ces enfants enfermés pour toujours dans cet hôpital-prison, dans des conditions empêchant forcément leur développement ? Tout laisse à supposer que les adultes sont ici les coupables, ne sachant que faire face à une situation comme celle-ci. En effet, le spectateur est placé du point de vue des enfants insensibles, ce qui permet de créer une empathie directe envers eux, et donc de diriger notre regard vers ceux qui vont finalement être vu comme étant « insensibles », mais cette fois non pas de manière physique, mais morale. Et pourtant, le film brille de ce côté par ce qu’il fait de ce statut attribué à chacun, les positions de chacun vont changer, voir s’inverser, les causes étant l’arrivée de nouveaux personnages dans le récit, ainsi que le contexte historique.
    Juan Carlos Medina, s’il signe ici son premier film, s’inscrit tout de même directement dans la catégorie des films de genre ibériques ayant pour toile de fond  la Seconde Guerre Mondiale et l’Espagne franquiste. A la manière d’un Guillermo del Toro, il démontre ici un pays qui n’arrive toujours pas à tirer un trait sur son passé, et si le propos est parfois un peu lourd, même si toujours juste, il s’en sert brillamment pour faire avancer son récit. Encore une fois, l’influence, notamment, de del Toro se fait ressentir, notamment en comparaison avec Le Labyrinthe de Pan. Insensibles lorgne à sa manière vers le fantastique, les enfants sont ici présentés comme dans un conte noir, et la grande part de mystère qui réside dans le film contribue à l’atmosphère ambiante surnaturelle.
    Du drame au film d’horreur atmosphérique, en passant par le thriller, Insensibles oscille entre les genres, parfois péniblement, mais avec tout de même un certain brio dans la continuité. Et d’ailleurs, le film ne trouvera finalement jamais sa voie. Le drame au début chez Martel, qui tendra de plus en plus vers le thriller, va petit à petit se mélanger à l’horreur de la prison où sont gardés les enfants, pour que le film finisse dans un élan surnaturel, presque fantastique. La scène finale, même si elle verse un petit peu dans le trop plein d’effets, reste scotchante et prouve que pour un premier long-métrage, le réalisateur fait preuve d’une sagesse et d’une maîtrise assez impressionnantes.

    Pour son premier film, Juan Carlos Medina signe une œuvre extrêmement bien maîtrisée, malgré la lourdeur ponctuelle de l’alternance entre les deux récits et leurs connexions mutuelles. Dans la lignée de grands réalisateurs hispaniques, il multiplie les genres traités ainsi que les fausses pistes sur fond d’Espagne franquiste et entre donc dans la lignée des réalisateurs à suivre de très près dans les années à venir.
    Titre Français : Insensibles
    Titre Original : Insensibles
    Réalisation : Juan Carlos Medina
    Acteurs Principaux : Alex Brendemühl, Tomas Lemarquis, Juan Diego
    Durée du film : 01h45
    Scénario : Luis Berdejo, Juan Carlos Medina
    Musique : Johan Söderqvist
    Photographie : Alejandro Martinez
    Date de Sortie Française : 10 Octobre 2012
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    [CRITIQUE] Headhunters /critique-headhunters/ /critique-headhunters/#comments Sun, 09 Sep 2012 19:08:24 +0000 /?p=6107 Etrange Festival 2012 – Catégorie « Compétition Nouveau Genre »

    Trop rares sur notre territoire, les films venus du Nord semblent depuis peu s’émanciper de plus en plus vers la France. En premier lieu, on pense logiquement à l’adaptation du best-seller Millenium, car même si elle est assez décriée, la trilogie a le mérite de faire parler d’elle, et il en va de même pour Troll Hunter l’année dernière. En 2012, la Norvège nous a déjà offert le très beau Oslo, 31 Août, road-trip mélancolique d’une journée dans la vie d’un ancien toxicomane, dans l’incapacité à retrouver sa place dans la ville. Et, même si aucune date française n’est encore annoncée,  elle réitère en cette fin d’année avec Headhunters, nouvelle adaptation d’un polar tout aussi froid, écrit par Jo Nesbø, et porté à l’écran par Morten Tyldum, son troisième film.
    L’écrivain se paie le luxe de son nom imposant sur l’affiche, preuve s’il en est de sa popularité, aux côtés du désormais célèbre Nikolaj Coster-Waldau, et du moins connu mais tout aussi imposant Aksel Hennie. En résulte un formidable polar, à l’humour noir, pinçant, mais pas toujours utile.

    Dans une première partie, Headhunters dépeint, non sans une pointe de moquerie sur son atmosphère presque factice, le milieu de l’art. Montré comme un monde à part, le récit se place selon le point de vue de son personnage principal, Roger Brown. Comme dans un jeu, pourtant sérieux ici, le réalisateur s’amuse à dresser un portrait détaillé de son protagoniste principal et de son milieu de vie. Chasseur de têtes, il est aussi et surtout voleur de tableaux d’une valeur inestimable, ce qui explique sa fortune.
    Le portrait de cet homme, matérialiste au possible, le place d’emblée comme une personne ambiguë, à la fois détestable par sa vision de la vie, mais qui pourtant force au respect par sa réussite. Son physique qu’il revendique comme peu attractif  est contrebalancé par sa richesse, qu’il n’hésite pas à utiliser sciemment pour gâter sa femme, qu’il ne semble d’ailleurs pas mériter.
    Dans ce milieu urbain trop lisse, les vols de tableaux opérés par Roger s’inscrivent comme un début de basculement dans une situation embarrassante, même si l’on est alors loin de s’imaginer jusqu’où le vice sera poussé. La question de la valeur des choses et des êtres, d’ailleurs un des questionnements du récit, est habilement introduite. Cette condition de vie irréprochable, presque trop parfaite, n’est qu’un prétexte d’écriture pour montrer que ce visage si bien façonné au début va petit à petit être trituré et transformé, aussi bien au sens propre qu’au figuré.
    Le premier tournant de l’histoire intervient lors de la rencontre entre Roger et Clas Greve, à la tête d’une entreprise de géolocalisation. De fil en aiguille, le rapport de force établit au début du film va s’inverser. Roger le chasseur de tête va être traqué, et Clas devient le chasseur ; c’est ainsi que l’on a droit à un formidable jeu du chat et de la souris. Le petit carcan protecteur de Roger n’a plus de signification, et le héros va prendre cher, très cher.

    Et finalement, le chemin parcouru par Roger s’apparente à un parcours initiatique que lui-même n’avait pas prévu, mais dont on s’attendait à ce qu’il arrive, même si pour nous, aucune issue ne lui semble possible. Du passage de la vie proprette de la ville à la survie dans des forêts et autres lieux en contrebalancement total de son milieu d’origine, il va « apprendre la vie », et voir que tout n’est pas si facile et matérialiste, car Headhunters traite aussi de thèmes humains, non palpables comme son argent, mais tout aussi présents et importants.
    Malin dans sa construction, Headhunters brouille un peu plus les pistes à chaque nouvelle avancée dans l’intrigue, laissant le spectateur dans le flou et dans l’incapacité à prévoir les événements à venir. Si l’exercice est brillant et que Tyldum prend un malin plaisir à nous emmener en terrain inconnu et à attiser notre curiosité, le film joue aussi sur de l’humour noir. Des scènes sérieuses, dramatiques, voir même sacrément gores sont parfois prises avec un humour déconcertant. Sur le coup, l’effet est évidemment très drôle, et même sadique, presque pervers,  mais il est dommage que ce ton, qui démarre franchement bien trop tard, n’ait pas été gardé tout le long du film, comme une ligne directrice. En effet, cette étrange cruauté humoristique est seulement parsemée ponctuellement alors qu’elle aurait pu garder une constance probablement plus efficace et assumée en en jouant du début à la fin.
    Mais cela n’empêche finalement pas le scénario d’être étonnamment intelligent et sans failles dans sa structure, malgré les chemins empruntés, parfois tortueux. Toujours dans cette thématique du jeu, le film contient son lot de fausses pistes, de faux semblants, mais surtout de rebondissements  bluffants, rendant le trajet vers l’arrivée plus compliqué qu’initialement prévu.

    Impressionnant thriller norvégien, Headhunters brille surtout par son scénario à risques mais qui s’avère finalement implacable. Tel un jeu, Morten Tyldum construit un personnage riche pour mieux le démonter par la suite, et qui, tel un parcours initiatique, va renaître, symboliquement, transformé en profondeur.
    Titre Français : Headhunters
    Titre Original : Hodejegerne
    Réalisation : Morten Tyldum
    Acteurs Principaux : Aksel Hennie, Synnøve Macody Lund, Nikolaj Coster-Waldau
    Durée du film : 01h38
    Scénario : Ulf Ryberg, Lars Gudmestad, d’après l’oeuvre de Jo Nesbø
    Musique : Trond Bjerknes, Jeppe Kaas
    Photographie : John Andreas Andersen
    Date de Sortie Française : Inconnue
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    [CRITIQUE] Le Voyeur /critique-le-voyeur/ /critique-le-voyeur/#comments Sat, 08 Sep 2012 14:14:28 +0000 /?p=6095 Étrange Festival 2012 – Catégorie « Carte blanche Kenneth Anger »

    S’il a déjà réalisé et contribué à quelques productions dans les années 1930, c’est pendant la période de sa collaboration avec un certain Emeric Pressburger que Michael Powell s’est fait connaître et a construit sa renommée aux côtés de son partenaire créatif. De leur rencontre en 1939 vont naître d’immenses chefs-d’œuvre du cinéma tels que Colonel Blimp, Le Narcisse Noir ou encore et surtout Les Chaussons Rouges. Entre performances esthétiques et visuelle phénoménales et récits inoubliables, ces films font aujourd’hui partis des plus grands jamais réalisés. Les fruits cinématographiques de leur partenariat étant estampillés « Powell & Pressburger », c’est pourtant le premier qui se chargeait quasiment seul de la réalisation, tandis que l’autre s’attelait au scénario.Dès la fin de leur collaboration, Michael Powell se retourne donc logiquement vers la réalisation, seul cette fois, mais dans la continuité de ce qu’il avait entreprit auparavant. Terminé en 1960, Le Voyeur est un film extrêmement personnel du réalisateur, mais qui va malheureusement détruire sa carrière jusqu’à sa mort en 1990. La cause ? La réception critique. Le film ayant été montré à des professionnels avant sa sortie, il se fera briser, les critiques ne s’arrêtant malheureusement qu’au penchant malsain du film sans prêter attention à la réflexion qui en découle.
    Pour l’anecdote, le film ne sera presque pas projeté et tombera aussitôt dans l’oubli et le mépris total. Il faudra attendre que des cinéastes comme Martin Scorsese et Bertrand Tavernier se manifestent pour redorer le blason du film, et l’apprécier à sa juste valeur.

    © DR – Droits Réservés

    S’occupant des prises de vue sur les plateaux de cinéma le jour, Mark en parallèle photographie des prostituées pour le compte d’un commerçant. Mais son autre face cachée le révèle comme un tueur, filmant ses victimes dans leur dernier souffle, terrorisées. C’est à partir de ce pitch que le film se construit, le personnage de Mark en est la pièce maitresse. Le portrait du personnage que dresse Powell s’apparente à celui d’un schizophrénique, que l’on découvre avec deux visages distincts, semblant dissimuler deux personnalités opposées. D’un côté l’on voit Mark avec sa caméra à l’œil, comme un prolongement de son bras qui la tient et qui en même temps cache la moitié de son visage, ce qui le rend en quelque sorte dépossédé de compassion, voire d’âme. De l’autre, lorsque il n’a pas cet objet prémice de ses meurtres en main, le personnage s’avère n’être qu’un homme moyen. Maladroit et à la timidité presque maladive, il en devient pathétique. Sans cette caméra, Mark semble totalement désemparé face aux personnes qu’il rencontre, il donne l’impression de subir la vie, et ainsi de passer pour la victime. Cette première personnalité est souvent vue à travers même l’œil de la caméra, et non de celui de Mark, comme si elle se substituait à lui. Si on ne l’apprend pas dès le début, certains faits et gestes de Mark Lewis trahissent pourtant sa pensée profonde. S’il se sait responsable de ses actes, il ne peut logiquement pas les assumer. C’est ainsi qu’il utilise l’argument de la préparation d’un documentaire pour justifier son port continuel de la caméra où qu’il aille.

    Ce voyeurisme en apparence malsain, va très vite se révéler plus que cela. Une séquence nous en apprend plus sur son père, et nous monte finalement son obsession comme prolongement du travail commencé par son père, toujours avec la caméra comme élément déclencheur. La musique, en prolongement de l’esprit et des réactions du corps de Mark, épouse ses actions et permet à nous, spectateur, d’y voir plus clair dans ses intentions. Carl Boehm s’inscrit parfaitement dans la continuité de l’écriture du personnage. Il est difficile de le comprendre et il en devient presque attachant par pitié. Son contact avec la vie est impossible par son seul corps, il lui faut la caméra, cet œil factice, afin de voir pleinement les choses et de les vivre. C’est d’ailleurs pour cela qu’il en fait son métier, travailler derrière la caméra l’aide à s’émanciper, alors que paradoxalement elle l’empêche aussi d’avouer l’inavouable, à savoir ses actes meurtriers. Il en est prisonnier. L’un des aboutissements de cette perdition en est le pied de la caméra, aussi utilisé pour tuer ses victimes grâce à son embout pointu. Œuvre évidemment érotique, aux allusions sexuelles diverses, ce pied s’avère être le simili-sexe de Mark, incapable d’obtenir une relation quelconque avec les femmes, et le remède étant donc le meurtre par cette arme.

    © DR – Droits Réservés

    Michael Powell ne se place pas dans une situation identique à celle de son protagoniste principal. Même si le film se déroule selon le point de vue de ce dernier, le cinéaste ne s’impose pas en voyeur, mais cherche plutôt à comprendre l’origine des troubles du personnage. Jamais il ne se placera de telle sorte à dire si les actes du personnage sont justes ou pas. Pas de jugement donc, mais des questions, auxquelles il apportera des réponses au fur et à mesure du récit. Mais Le Voyeur est aussi et surtout une véritable mise en abîme du cinéma, et donc du voyeurisme. Si Mark s’impose directement comme un personnage malsain, qui prend plaisir à voir des images morbides, Powell remet en question cette position. En effet, certes son personnage filme des choses atroces, qu’il nous est même donné de voir par moments en vue subjective, mais n’est-ce pas là ce que fait aussi le cinéaste ? En filmant l’acteur, en réalisant ce film, il nous met, nous spectateurs, implicitement dans la même position que Mark. Les images qui nous sont données à voir, le jugement que l’on tire personnellement des actes du personnage font de nous des voyeurs, c’est même avec un certain plaisir que l’on regarde ces images.

    Finalement, en agissant de la sorte, le réalisateur revient à l’essence même de ce qu’est le cinéma, c’est-à-dire pouvoir regarder et observer tout en portant un jugement, des choses que l’on aimerait voir, ou que l’on ne peut pas voir dans la « vraie vie », mais qui attise notre curiosité et notre excitation, à la limite malsaine selon ce que l’on choisit de regarder. L’exemple parfait pour l’illustrer tient dans une scène où Mark s’apprête à assassiner une prostituée, mais le meurtre lui-même n’est pas montré, il est coupé juste avant au montage par un fondu au noir. Le spectateur se retrouve piégé au jeu du voyeurisme, lui qui attendait avec une excitation malsaine (ou avec appréhension), de voir le crime commis. Cette suggestion du meurtre dépasse le simple cadre du film, et trahit l’attente du spectateur face à une scène supposée dramatique. Et, dépassement ultime de cette réflexion, Michael Powell, dans une scène finale saisissante et millimétrée, s’impose lui aussi comme voyeur. En tant que cinéaste, il est le premier dans cette chaîne de la vision, lui qui crée ces images et propose aux spectateurs cet imaginaire.

    D’abord portrait troublé d’un homme qui ne peut vivre qu’à travers l’objectif d’une caméra, prisonnier de l’image et de son traitement, Michael Powell livre une formidable réflexion sur la position de spectateur via une mise en abîme de la création cinématographique, et qui dans un acte ultime ouvre cette pensée au travail même du réalisateur.
    Titre Français : Le Voyeur
    Titre Original : Peeping Tom
    Réalisation : Michael Powell
    Acteurs Principaux : Karlheinz Böhm, Moira Shearer, Anna Massey
    Durée du film : 01h41
    Scénario : Leo Marks
    Musique : Brian Easdale, Angela Morley
    Photographie : Otto Heller
    Date de Sortie Française : 1960 – 8 février 2011 (en DVD)
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    [CRITIQUE] Freaks, La Monstrueuse Parade /critique-freaks-la-monstrueuse-parade/ /critique-freaks-la-monstrueuse-parade/#comments Fri, 07 Sep 2012 00:56:41 +0000 /?p=6212 Étrange Festival 2012 – Catégorie « Carte blanche Kenneth Anger »

    Qui mieux que Tod Browning peut représenter le meneur de fil de tous les films présents à l’Etrange Festival ? Connu par le grand public pour son film Dracula sorti en 1931, mettant en scène l’histoire du comte joué alors par l’emblématique Bela Lugosi, premier film à remettre au goût du jour le mythe du vampire quelques dizaines d’années après Nosferatu de F.W Murnau, et à bâtir ce qui serait bientôt une culture prodigieuse à laquelle l’on peut rattacher des noms emblématiques tels que Christopher Lee, Francis Ford Coppola ou encore Werner Herzog. Mais c’est l’année suivante, avec Freaks, La Monstrueuse Parade, que Tod Browning devient littéralement l’homme à abattre. Freaks est un échec commercial éprouvant, le film en vient à être détesté par la critique mais aussi par le public. Son film,  mettant en scène des personnes réellement dotées de malformations, trop singulier, et surtout diffusé à une époque où les gens n’étaient tout simplement pas prêts à voir dans le cinéma américain une réalité si troublante, signera l’arrêt de Tod Browning alors que l’année précédente sortait M. Le Maudit de Fritz Lang en Allemagne. Le film ira même jusqu’à être interdit de diffusion pendant plusieurs dizaines d’années sur le territoire britannique. Aujourd’hui réhabilité au rang de chef d’oeuvre, source d’inspiration visible chez de nombreux réalisateurs, Freaks, la Monstrueuse Parade garde la même puissance d’imagerie qu’autrefois, représentant le pittoresque de l’humain non pas à travers son cirque, mais à travers la seule personne considérée comme normale au sein de son oeuvre.

    © DR

    Cléopâtre est une acrobate se produisant dans un cirque de « monstres », seule parmi tous, cette dernière à rapidement compris qu’elle pouvait contrôler certains de ces occupants à l’aide de sa beauté, de sa « normalité ». Alors que Tod Browning aurait pu se contenter d’un huit-clos où l’on suivrait Cléopâtre tentant de survivre, il prend ce concept banal, et le renverse pour en faire une histoire emblématique. Browning ne se contente pas de rendre le personnage de Cléopâtre odieux, nous forçant à nous attacher ainsi aux habitants plus qu’atypiques du cirque, il dresse sans irrégularité et avec passion en l’espace d’une simple heure le portrait de tous ses personnages. Le canon devient le monstre et le monstre devient le normal, Cléopâtre n’est plus que du mensonge à l’état pur, la définition même de ce qu’est le monstre, n’hésitant pas à profiter de ceux n’ayant pas les moyens de disposer du peu d’honneur qui leur est permis, tout en abordant ce sourire figé, héritage de sa beauté. Cruelle, indépendante, et surtout attirante, c’est à travers le personnage de Hans qu’elle trouvera son souffre douleur et la victime parfaite. Olga Baclanova permet de rendre son personnage encore plus détestable, son allure et sa démarche rappelant d’ailleurs plus souvent les mouvements de l’automate plutôt que ceux d’un humain.

    © DR

    Pour sa Parade, Browning ne profite pas une seule seconde de la faiblesse physique de ses personnages, il en fait tout le contraire, ce n’est pas la pitié qu’il nous insuffle, mais la force. Cette famille, se révélant être bien plus qu’une idée lors du repas de noce de Cléopâtre et Hans, devient soudain plus semblable à une puissante mafia, confirmation donnée au film à travers son final implacable. Browning confère ainsi à chacun des artistes du cirque plus d’humanisme qu’il n’en est permis à quiconque, chose dont eux même font continuellement preuve, notamment le parti féminin omniprésent à travers Fieda et Venus, porté respectivement par Daisy Earles et Leila Hyams. C’est notre regard que Tod Browning cherche à changer, n’en appelant pas notre perversité afin d’attiser notre curiosité, véritable tour de force, nous nous attachons peu à peu à eux. Et pourtant, lorsque l’on sait que le film a connu l’oeuvre de la censure, que la première fin re-faisant de ces humains enfin ré-habilités à nouveau des monstres, Tod Browning montrait par ce biais que l’homme, quel qu’il soit, est toujours au final un monstre au fond de lui.


    Des êtres difformes se produisent dans un célèbre cirque, afin de s’exhiber en tant que phénomènes de foire. Le liliputien Hans, fiancé à l’écuyère naine Frieda, est fasciné par la beauté de l’acrobate Cléopâtre. Apprenant que son soupirant a hérité d’une belle somme, celle-ci décide de l’épouser pour l’empoisonner ensuite avec la complicité de son amant Hercule. Mais le complot est découvert, et les amis de Hans et Frieda vont se venger…


    A travers ce seul film, Tod Browning propose un message d’une force universelle, indéniable, ancré dans son époque. Soulagé de toutes contraintes de genre, il signe ainsi un film sans repère, perdu dans son temps. Reposant la totalité de son intrigue sur un un simple fait: qu’est-il arrivé à Cléopâtre ? Il élabore un récit noir nonobstant tout aprioris.
    Titre Français : Freaks, La Monstrueuse Parade
    Titre Original : Freaks
    Réalisation : Tod Browning
    Acteurs Principaux : Olga Baclanova, Harry Earles, Wallace Ford
    Durée du film : 1h04
    Scénario : Willias Goldbeck, Leon Gordon, Edgar Allan Woolf, d’après une histoire de Clarence Aaron Robbins
    Photographie : Merritt B. Gerstad & Henry Freulich
    Date de Sortie Française : 1932
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