?xml version="1.0" encoding="UTF-8"?> PixAgain » Drame http://pixagain.org Critiques, Tests, Avis, Dossiers, Previews... Mon, 18 Nov 2013 23:50:41 +0000 fr-FR hourly 1 http://wordpress.org/?v=3.7.1 Critique : Les Amants du Texas (David Lowery) /critique-les-amants-du-texas-david-lowery/ /critique-les-amants-du-texas-david-lowery/#comments Wed, 18 Sep 2013 20:15:04 +0000 /?p=8727 [one_third last="no"]Deauville[/one_third][two_third last="yes"]

FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

Edition 2013

COMPETITION

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Il y a quelque chose d’assez fascinant qui tend à se dégager de cette nouvelle vague (si l’on peut nommer ainsi cette tendance récente) de jeunes réalisateurs américains indépendants. Outre le fait qu’ils se démarquent d’Hollywood par des productions indépendantes et souvent à petit budget, mais aussi par un passage apparemment baptistaire au festival de Sundance, ces cinéastes ont en commun une manière de filmer si particulière un pan plus ou moins profond du Sud des Etats-Unis d’Amérique. En effet, des réalisateurs comme Jeff Nichols, Benh Zeitlin, Andrew Dominik ou encore David Gordon-Green détiennent une vision âpre, violente et même parfois mélancolique des régions dans lesquelles ils tournent ; et, de l’humidité du bayou aux vastes champs texans à la chaleur pesante, ils parviennent tous sans exception non seulement à donner corps à ces décors déjà fabuleux naturellement, mais ils s’aventurent aussi à les ancrer dans leurs histoires de manière à ce que les environnements deviennent des personnages à part entière. Les films de ces cinéastes dégagent ainsi une puissance souvent enfouie, qui explose parfois, la nature reflétant les états d’âme des personnages. Et cela, David Lowery l’a très bien compris et mène avec Les Amants du Texas une œuvre héritière d’une certaine idée d’un cinéma américain à travers une superbe histoire d’amour assez étonnante dans son traitement par correspondances.

Les Amants du Texas - 1

Le film est assez surprenant dans la façon dont il va aborder le couple amoureux tout au long du récit. En effet, les premières minutes du film seront quasiment les seules où l’on verra Bob et Ruth ensemble à l’écran. Un braquage qui tourne mal va mettre fin à leur idylle : Bob est arrêté, Ruth laissée en liberté, mais elle est enceinte. Cette dernière le lui souffle, et il jurera de s’évader pour rejoindre cette famille en construction. C’est cette promesse d’un futur qu’ils passeront tous ensemble qui va motiver le pouls du film. Le temps passe, Ruth accouche, seule, Bob l’apprend en prison. Lowery prend le parti de garder le point de vue de Ruth : en se dégageant du mari, il délaisse ce qui aurait pu être un récit à suspense par un tempo tout autre, lent et pesant, mais toujours plein d’espoir. En voyant Ruth élever son enfant seule, l’on comprend le thème du film : Les Amants du Texas est finalement l’histoire d’une attente, celle d’une femme aimante, peu importe que son mari soit un truand, elle sait que sa promesse de revenir les chercher et de s’enfuir vers un avenir meilleur que leur passé déjà vécu n’est pas une parole en l’air.
Cet amour qui était évident lorsque le couple était uni physiquement va désormais devoir se faire ressentir par interpositions. La passion dans chacun des personnages est présente par l’absence de l’autre, et David Lowery a compris que cette séparation forcée par la loi va aboutir à un travail sur l’ambiance et l’atmosphère qui devront régner autour de la maison de Ruth, qui s’impose comme sa prison à elle.

Les Amants du Texas - 2

Le réalisateur, avec l’aide de son directeur de la photographie Bradford Young (qui signe ici un travail des lumières tout bonnement stupéfiant de naturel), joue donc avec la richesse sans fin des décors texans pour créer un climat propice à un ton brûlant, languissant. Ainsi, même si le film lui est propre, il y a des échos criants (volontaires ou non, l’on ne cherchera pas à savoir si ces influences le sont vraiment ou si elles ne sont pas préméditées), d’une part au travail des réalisateurs cités en début d’article, et d’autre part à la filmographie de Terrence Malick, et plus particulièrement à La Balade Sauvage et aux Moissons du Ciel. Le soleil est pesant, le visage impassible de la si belle Rooney Mara laisse deviner une chaleur difficilement supportable qui viendrait s’ajouter à son embarras préexistant. Cette région isolée abrite un microcosme de personnages dont le centre d’attention va vite devenir Ruth, mais aussi Bob dont on commence à se douter de la volonté de s’échapper de prison. Le shérif –celui qui a été blessé par Bob lors du braquage et qui lui a valu la prison- cherche d’ailleurs à attendrir Ruth pour se l’accaparer, faisant douter cette dernière. Car l’attente devient longue, pénible, d’un côté comme de l’autre. Lui veut fonder sa famille loin de son passé, elle a peur de mêler leur fille à une histoire de banditisme qui les suivra à vie.
Si la chose la plus importante rattachant Bob à la vie est de retrouver sa famille, l’histoire du couple s’écrit à travers des lettres qu’ils s’envoient, et dont la voix-off (encore un lointain écho à Terrence Malick) se fait porteuse. Ce sont ces correspondances qui rythment le récit, porteuses des nouvelles de l’être aimé et rendant l’attente encore plus insoutenable. David Lowery joue ainsi tout du long sur la notion du temps qui passe
En ne les ayant montré ensemble que lors de l’ouverture du film, le réalisateur a pris le risque de faire vivre la romance par interpositions, et c’est probablement la direction d’acteurs qui lui a donné ce souffle lyrique si éblouissant. Ce rythme à la fois paisible et troublé, bien que ponctué par quelques événements qui viennent ajouter de l’intensité au récit, est entièrement porté d’une part par Rooney Mara, impassible, qui tout en retenue va faire ressentir cette attente entre l’éducation de sa fille et les moments d’angoisse quant à la situation de son mari ; et d’autre part par un Casey Affleck majestueux, apportant au film toute la fièvre et l’agitation qui viennent précipiter les événements. Rien que dans l’intonation de sa voix, rocailleuse, presque cassée, toute sa personnalité ressort : c’est un personnage cassé par la vie, fatigué de jouer avec la mort, et malgré tout fou amoureux et déterminé à retrouver sa famille. Son absence lui pèse autant qu’à sa femme, c’est lui qui se fait du mal, malgré lui, et qui fait souffrir Ruth, mais elle ne peut pas lui en vouloir. Finalement, même si c’est lui que l’on voit le moins, Les Amants du Texas est mû par des charismes aussi puissants que discrets, aussi beaux que dramatiques.


Bien plus qu’un énième film de southern gothic, Les Amants du Texas joue sur l’ambiance si particulière et propice au drame amoureux de cette région des Etats-Unis. Lowery, probablement conscient de l’exploitation passée des terres sur lesquelles il s’engage, s’impose néanmoins comme un nouvel auteur fiévreux qui, espérons-le, n’a pas fini de se servir de la richesse des décors pour servir au mieux de nouvelles histoires.


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    Critique : The Retrieval (Chris Eska) /critique-the-retrieval-chris-eska/ /critique-the-retrieval-chris-eska/#comments Sat, 07 Sep 2013 20:02:12 +0000 /?p=8698 [one_third last="no"]Deauville[/one_third][two_third last="yes"]

    FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

    Edition 2013

    COMPETITION

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    Enfant noir pendant la guerre de Sécession, Will a pourtant une vision du monde déjà adulte, façonnée par tout ce qu’il subit et fait subir pour survivre au quotidien. Le début du film est d’une violence psychologique assez crue et sans concessions : à la solde d’une troupe de chasseurs de primes, Will et son oncle traquent les humains recherchés ou ayant une valeur marchande suffisamment élevée pour rassasier le gang. Le jeune héros est envoyé chez une fermière cachant des réfugiés chez elle, et cette dernière l’envoie dormir dans une grange ou trois autres personnes sont logées : son butin est là, à portée de main. Mais Will n’est qu’un enfant, et lorsqu’une des femmes lui tend à manger, elle qui semble si faible, il est déstabilisé. En une scène, l’on tient le principal argument que The Retrieval va développer tout au long du film : l’attachement du personnage principal à des êtres dont le destin est scellé par ces chasseurs de primes.
Les personnages principaux ont beau vivre en plein milieu de la guerre civile, cette dernière n’est qu’un prétexte pour raconter l’histoire de ce jeune garçon confronté à des choix vitaux. Ainsi, il n’y aura qu’une unique scène de bataille, permettant de restituer le contexte, Chris Eska préférant concentrer le récit sur les relations entre Will, son oncle et Nate, l’homme qu’ils doivent ramener au gang. Le réalisateur guide ses personnages et leur secret à travers l’épaisseur de forêts un peu trop balisées, même si le parcours peut-être pas initiatique mais au moins formateur du héros a le mérite de tirailler une psychologie et d’ainsi éviter tout manichéisme.

    www.indiewire

    L’on ressent d’ailleurs tout au long du métrage cette volonté dans l’écriture de ne pas tomber dans le piège facile des bons d’un côté et des méchants de l’autre. Le sujet du film étant la Guerre de Sécession, on aurait pu s’attendre à une opposition entre les camps du Nord et du Sud, mais c’est ici autour des blancs et des noirs qu’Eska cherche à faire évoluer les pensées dans diverses directions. Peu importe la couleur de peau, le crédo des personnages de l’époque telle qu’elle est représentée est d’agir non pas selon leur conscience, mais par intérêt, ce qui implicite la survie. Will et son oncle vont ainsi accepter la mission du gang qui est de leur ramener un hors-la-loi en faisant croire à ce dernier que son frère est mourant. Faire croire aux victimes de ces coups-montés que sa venue vers eux est sans risques, Will en a l’habitude. L’ouverture du film, minutieuse et semblant être réglée au détail près, confirme le triste professionnalisme du jeune garçon. Le rythme est d’ailleurs lent du début à la fin, The Retrieval se composant surtout de travellings en forêt, allant à la vitesse des personnages, pas spécialement pressés mais toujours à l’affut du moindre danger pouvant surgir de tous les côtés. Ce tempo lancinant permet de mieux sonder la façon dont vont évoluer les trois protagonistes principaux les uns par rapport aux autres.
Le mode opératoire mis en place pour livrer les victimes vivantes au gang est vicieux, et le fait qu’un enfant en soit le relai rend d’autant plus détestable les moyens employés par cette troupe. Appâter les victimes en faisant croire à sa propre innocence et son envie de trouver refuge auprès des autres dans un pays en guerre, voilà comment il avait gagné la confiance de la femme dans la grange, et c’est de la même manière qu’il devra procéder pour arriver à amener Nate, le hors-la-loi, aux chasseurs de primes. Tout le dessein du film est de retracer ce parcours en analysant la façon dont Will va réagir face à un personnage auquel il ment quant à ses intentions et auquel il s’attache trop rapidement pour n’éprouver aucun remords. Tout lui avouer et prendre le risque de se faire tuer par les membres du gang, ou bien porter sa mission à terme et avoir la mort d’un homme qui l’a protégé sur la conscience : le dilemme est lourd et amène tout un lot de tiraillements au garçon, mais le fait de l’étirer tout au long du récit s’avère finalement assez léger, voire même répétitif. C’est d’ailleurs pour cela que Chris Eska l’étoffe en parallèle avec l’espoir de son personnage principal de pouvoir aller retrouver un jour son père, qu’il espère vivant.
Cette recherche de la figure paternelle va amener tout doucement à l’émancipation de Will face à toutes ces personnes qui balisent ses choix grâce au personnage de Nate, qu’il va voir comme un être remplaçant son père, il éprouvera même de la peine envers lui à cause de ce qu’il lui fait subir sans qu’il ne s’en rende compte. Ce transfert va se faire au fur et à mesure que le récit avance, Nate étant présenté au début comme un homme renfermé et sans scrupules, qui mériterait presque le sort qui lui est réservé. Ce doute quant à la confiance qu’on pourrait lui accorder sera balayé pour ensuite faire place à un esprit protecteur envers Will, qui pourrait être son fils. La transformation de la psychologie des personnages va effacer l’anti-manichéisme mis en place au début du film, et si les ficelles paraissent parfois trop grossières, l’efficacité de l’histoire est bien présente jusque dans son final attendu mais suivant la logique mise en place auparavant.


    Le dilemme d’un jeune garçon face au sort d’un homme dont la vie tient entre ses mains, et la recherche d’une figure paternelle de substitution sont les deux thèmes principaux que Chris Eska cherche à croiser dans The Retrieval. Parfois facile, le récit minimaliste a pourtant le mérite d’explorer la psychologie d’un enfant déjà adulte de part ce que la guerre lui fait vivre.


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      Critique : Parkland (Peter Landesman) /critique-parkland-peter-landesman/ /critique-parkland-peter-landesman/#comments Thu, 05 Sep 2013 13:00:55 +0000 /?p=8673 [one_third last="no"]Deauville[/one_third][two_third last="yes"]

      FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

      Edition 2013

      PREMIERE

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      50 ans après l’assassinat de J.F Kennedy, la Mostra, Toronto et le festival de Deauville rendent chacun à leur manière hommage à ce triste événement. Mais tous ces festivals on en commun un film: Parkland. Réalisation d’un ancien journaliste d’investigation puis correspondant de guerre et peintre, Parkland, tiré du livre de Vincent Bugliosi : Four Days in November, semblerait s’engager sur la voie de la dénonciation impartiale. Car ce roman, au lieu de se concentrer comme tant d’autres sur les faits survenus le 22 Novembre 1963, se consacre plutôt aux événements suivant l’assassinat du 35ème président des Etats-Unis. Non seulement la théorie du complot n’est jamais réellement soulevée, évitant la redondance perpétuelle de faits déjà-vus et interprétés, mais cette période permet aussi de s’intéresser à l’impact de la mort d’un homme sur toute une population. Produit notamment par Tom Hanks, le film de Peter Landesman ne semble ainsi jamais porter la prétention de critiquer des agissements peu scrupuleux ou d’une logique douteuse dans un contexte de crise. C’est d’ailleurs sur cet élément que l’on trouvera à critiquer dans Parkland, de la part d’un journaliste d’investigation, il était normal d’attendre du film une vision plus globale et riche des événements, hors il laisse à craindre que seule la mise en scène fut considérée comme un outil de réflexion de la part de Peter Landesman, laissant de côté la complexité d’une évolution pour une linéarité bien inadaptée.

      parkland 1

      Parkland aurait très bien pu être un documentaire. Mais si cette oeuvre en avait pris les formes, Peter Landesman n’aurait surement pas pu évoquer ce qui semble à chaque minute lui tenir à coeur : l’émotion d’un peuple devant la perte d’un grand homme. La mort en elle même de John Fitzgerald Kennedy est entourée de mystères, mais nous en sommes las. Voir et revoir les hypothèses concernant l’assassin présumé du président ne comporte jamais l’aspect humain l’entourant. Tel un morceau de viande, en alimentant ces théories, JFK n’est aujourd’hui devant la communauté internationale que l’homme assassiné le 22 Novembre 1963. Ainsi, même si un nouveau documentaire aurait surement pu rendre hommage à ceux ayant vécu ce triste événement, Peter Landesman décide plutôt de remettre en scène l’assassinat, pour ensuite mieux déconstruire le mythe et le reconstruire autour de ceux qui ont tenté,  une minute, ou une journée plus tard, de sauver la mémoire du président. C’est ainsi que s’élance Parkland, déjà ancré dans la salle bientôt mortuaire de l’hôpital éponyme.
      Pour mieux nous faire revivre les événements, Peter Landesman décide de mêler, tout du moins durant une première dizaine de minutes, images d’archive et reconstitutions. Habilement, il fait ensuite disparaitre ces premières pour laisser uniquement à la fiction la place de ce mouvoir. Peu à peu, c’est une intrigue à plusieurs enjeux que tente de faire évoluer le réalisateur : celle de l’assassin, des services secrets ou encore du témoin ayant filmé l’assassinat complet de JFK. Cependant, cette mise en place nécessite ensuite un suivi hors-normes tant les personnages se démultiplient. Il n’est ainsi pas rare de se rappeler l’existence d’un personnage à la fin du film ou d’en découvrir un au même instant. Car à l’inverse du documentaire, une fiction nécessite un scénario fort afin de garder la tension durant sa totalité. Peter Landesman ne semble pas se préoccuper de cet argument, laissant à l’Histoire le choix de suivre son propre fil, sans jamais être matée ou contrôlée. Or, de la part de ce vétéran de l’information, il aurait été surement plus judicieux de mieux ausculter certains personnages, chose qu’il ne décide que trop tard en diminuant le nombre d’intrigues en cours de route.

      parkland 2

      Mais au-delà de ces défauts, tares beaucoup trop importantes pour permettre au film de réellement prendre son envol, Peter Landesman réussi à construire un récit fondamentalement humain. L’hommage n’est ainsi pas dédié à l’homme, mais à ceux qui ont survécu à cette perte, à ceux qui au même instant, ont perdu un être cher. Cette sensation, très forte à travers les personnages des docteurs, l’est encore plus avec le personnage de Jackie Kennedy. Tel un ange protecteur, elle est ici loin de l’image perpétuelle de la femme courant après les morceaux de crâne de son mari. Mais c’est surtout chez les Oswald qu’un travail extraordinaire a été réalisé. Ainsi les passages les plus intéressants du film traitent de la réaction de Robert Oswald, interprété par James Badge Dale, déterminé à faire régner la justice mais aussi à respecter sa famille. Il devient alors le plus objectif parmi une meute de loup assoiffé de sang. Cette course au bouc émissaire symbolise la totalité du film. Plutôt que de pleurer un mort, il semble plus facile de combler un vide par une haine envers un homme qui pourrait être fautif de tous les malheurs du monde. Tel des fossoyeurs, incapable de supporter le regard d’un mort, tous sont pressés d’enterrer l’homme pour avancer vers un autre futur. Il est triste en faisant un tel constant de voir les erreurs de casting accompagnant de si ambitieux personnages. Paul Giamatti a lui seul semble bien déterminé à anéantir la crédibilité de chaque personnage qu’il endosse, et aucun autre protagoniste composant ce microcosme ne parvient à lui donner réellement vie. Ainsi, derrière une mise en scène des plus classiques, Parkland dévoile mais ne rétorque jamais. Coincé dans un cadre qu’il aurait fallu brisé, l’envers de l’assassinat de J.F. Kennedy est trop manichéen pour chercher chez le spectateur une confusion quelconque. Peter Landesman semblait pourtant avoir bien compris qu’en jouant sur de petits détails il était possible de caractériser la valeur d’un homme, et ainsi, lui rendre justice.


      Parkland est un récit à double tranchant. Trop classique et trop ambitieux, le film manque surement simplement de visages sincères pouvant supporter de tels aveux. But à moitié accompli par Peter Landesman qui pourra parvenir à toucher, mais sans doute pas convaincre.


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        Critique : Lily (Matt Creed) /critique-lily-matt-creed/ /critique-lily-matt-creed/#comments Thu, 05 Sep 2013 11:35:23 +0000 /?p=8670 [one_third last="no"]Deauville[/one_third][two_third last="yes"]

        FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

        Edition 2013

        COMPETITION

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        Le traitement pour vaincre le cancer du sein de Lily est sur le point de se terminer. Elle a beau être déjà adulte, l’héroïne a encore un visage d’enfant, ses cheveux qui commencent à repousser après la chimiothérapie lui donnent un aspect de petit garçon sur qui la maladie est tombée sans prévenir et a fait de ce drame une situation a assumer au quotidien. Cette apparente fragilité physique détonne pourtant avec la façon dont Lily voit le monde, et c’est ce qui lui confère cette vulnérabilité touchante, presque agréable à vivre.
        Si le film se contente de la suivre dans son quotidien sans jamais appuyer sur l’injustice de la maladie, c’est en grande partie grâce à son actrice, Amy Grantham. En effet, pour son premier long-métrage, Matt Creed s’est attelé à l’écriture du scénario avec cette dernière car elle-même a vécue cette situation, et il est donc logique que ce soit elle qui en interprète le rôle principal. Entre les derniers rendez-vous chez les médecins afin que toute éventualité d’un réminiscence de la maladie survienne, Lily observe le monde qui l’entoure, tout en étant observée mais jamais jugée par la caméra. Finalement, le film ne s’intéresse pas tant que cela à ce cancer, mais plutôt à la façon dont le personnage va retrouver une vie normale, comme avant. Cette distance qui est toujours gardée avec la frontalité touche presque à l’exercice de style pour un jeune réalisateur voulant livrer une oeuvre singulière, et le résultat, à défaut d’être tout le temps passionnant et passionné, s’avère un minimum attachant de part son intimité préservée.

        Lily 1

        Il y a dans Lily plusieurs petits détails qui peuvent paraître anodins mais qui finalement contribuent à rendre le personnage crédible et allant dans un même système de pensée. Par exemple, elle ne cherche pas à exposer a toutes ses connaissances le fait d’avoir vaincu son cancer, bien au contraire. Dans un élan inné de modestie quotidienne, elle sait garder pour elle des choses qui pourraient créer de l’empathie chez les autres, soit par gène d’en parler, comme avec ses amis, soit par des antécédents familiaux qui font barrage à toute communication, comme avec son père, qui ne saura pas que sa fille a été malade.
        Le réalisateur utilisant sa caméra comme un point de vue d’une neutralité totale, les champs de l’interprétation et du jugement sont laissés libres au spectateur. Ainsi, l’aspect purement contemplatif peut laisser totalement indifférent car c’est l’actrice qui ici dirige la caméra, et non l’inverse. Creed laisse complètement vivre ses personnages, à tel point que l’on pourrait comparer certains aspects de la vie de Lily à ceux de personnages issus des films de François Truffaut. Amatrice d’arts, elle cherche à y vouer sa vie mais peine à percer.
        Lily dessine aussi un récit de maturité pour son personnage principal, qui va passer du renoncement à l’acceptation de son physique « transformé », et cela grâce au soutien de ses proches. La séquence était forcément obligatoire dans un film sur ce sujet, le passage est un peu facile mais il arrive à tenir la route sans tomber dans les clichés, toujours grâce au traitement léger et enlevé du cinéaste, qui filme une tranche de vie comme il tournerait un documentaire, plutôt que comme il met en scène des acteurs autour d’un thème bien écrit. Matt Creed utilise d’ailleurs le terme de vulnérable pour désigner le personnage. En effet, le film commençant à la fin de son traitement, l’on ne peut pas spécialement affirmer que Lily soit ou pas une battante dans l’âme, mais sa personnalité repose sur une dualité plutôt naïve mais pourtant assez fouillée pour qu’elle retienne l’attention.
        D’un côté, l’héroïne pense retrouver sa vie d’avant comme si de rien n’était, sans nouvelle étape à reconquérir ou d’anciennes connaissances à recontacter. Cette Lily là est douce, souriante, joyeuse et pleine d’entrain, prête à découvrir de nouvelles choses et à croquer la vie à pleine dents comme si elle vivait une renaissance. Elle n’a (presque) pas honte de se mettre à apprendre les claquettes en pleine rue ou à faire un bruit infernal chez elle jusqu’à ce que les voisins interviennent, et ce penchant insouciant la rapproche parfois de personnages du burlesque, jusque dans les mimiques taillées dans sa bouille d’ange.
        De l’autre côté, l’on fait face à une femme qui vient de sortir d’une période difficile aussi bien physiquement que moralement, et cela se lit aussi bien sur son visage souvent fatigué que lorsqu’on l’entend monter ses interminables escaliers avec peine. La crainte d’une rechute semble autant la contrarier que l’envie et l’angoisse de retisser des liens avec ceux qu’elle connaissait avant que son cancer ne la ronge.


        Lily a beau être trop distant pour passionner, le film a au moins le mérite d’assumer sa singularité avec honnêteté du début à la fin. Ne tombant jamais dans le pathétique ou le mélodrame, Matt Creed fait de son premier long-métrage une chose touchante et agréable à vivre, comme si l’on vivait le quotidien de l’héroïne à ses côtés.


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          Critique : Fruitvale Station (Ryan Coogler) /critique-fruitvale-station-ryan-coogler/ /critique-fruitvale-station-ryan-coogler/#comments Tue, 03 Sep 2013 18:45:13 +0000 /?p=8599 [one_third last="no"]Deauville[/one_third][two_third last="yes"]

          FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

          Edition 2013

          COMPETITION

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          Ryan Coogler a tout d’un réalisateur arrivé derrière la caméra grâce à une volonté de dénoncer un sujet extrêmement fort et qui lui tient à coeur, animé par une rage envers l’injustice qu’il veut dévoiler au monde entier. Inspiré d’un fait réel, auquel Coogler a probablement été lié de près ou de loin vu la passion qu’il voue à son sujet, Fruitvale Station construit tout son récit autour du personnage d’Oscar Grant, jeune père de 22 ans qui va devenir figure de cinéma par le biais des suites de l’arrestation dont il est victime une nuit du nouvel an.
          Succédant aux Bêtes du Sud Sauvage comme Grand Prix du festival de Sundance, l’attente était forcément grande. Loin de la dramatique mais sublime fantaisie qui avait fait de son prédécesseur un chef-d’oeuvre, le film est parfaitement ancré dans la réalité, jusqu’au point où le fait divers est traité sous la forme d’un mélodrame à la longue exposition jusqu’à l’acte final déchirant. Le réalisateur souhaite clairement prendre le spectateur par les émotions en le ménageant pendant plus d’une heure en mettant en place tout un système familial attachant, et si le résultat est au bout du compte efficace, le cheminement assez maladroit mais minimisé par la passion du cinéaste pour l’histoire qu’il raconte.

          Fruitvale Sation 1

          Le film s’ouvre sur une capture vidéo amateur retraçant la fameuse arrestation dont sont victimes Oscar et plusieurs de ses amis. Le document est brut, la violence des gestes s’en voit accentuée par le format tremblant du téléphone portable en train de filmer. Un bruit retentissant vient soudainement couper l’image. On ne veut pas admettre avoir reconnu de quel objet provient le son, comme pour laisser un semblant de chance à la victime, mais l’on imagine déjà voir l’issue du fait divers.
          Flashback, 24 heures en arrière, le film reprend. Tout ce qui va suivre à partir de ce moment est une succession d’événements dans la vie du héros permettant de dresser en une journée une esquisse de sa vie, mais suffisamment précise pour pouvoir jouer sentimentalement sur les événements présentés. Bryan Coogler a de la suite dans les idées, presque toutes les clés sont dans ses mains pour pouvoir créer une oeuvre touchante, mais ses intentions se font clairement ressentir et plombent le parcours d’Oscar. C’est peut-être là tout le mystère affectif qui se construit à la vision de Fruitvale Station : le film se bâtit sur des maladresses de cinéaste débutant (Ryan Coogler signe ici son premier long-métrage, après s’être fait remarquer par une production sur format court), mais les saillies émotionnelles sont étonnamment puissantes. La sincérité qui se dégage des images du film est finalement compréhensible lorsque l’on voit l’événement central qui cantonne les personnages à cette station de métro éponyme. L’énorme bavure policière a pu être dévoilée a grand jour grâce aux témoins et à l’ère du tout numérique, ce qui rend d’autant plus révoltant et absolument inadmissible le comportement des forces de l’ordre ce soir du nouvel an.
          Le fait de dévoiler l’issue du film au début rend la narration expéditive car sans salvation possible pour le héros, mais le mélodrame prend aussi sa source dans l’existence d’Oscar les 24 heures précédant l’acte charnière. Il est présenté comme un homme qui n’est pas totalement sorti de l’adolescence, mais avec toutes les responsabilités que peut avoir un adulte. En couple avec sa femme qui vit encore chez sa mère, ils ont une petite fille qu’ils tentent d’éduquer malgré la précarité de leur situation : vendeur dans un supermarché, il a perdu son emploi et n’ose pas l’avouer à sa compagne. Le penchant misérabiliste de cette instabilité est mis en parallèle avec un fort lien familial qui unit toute cette famille pour le meilleur et pour le pire. Le drame naît précisément ici, du mariage entre les moments difficiles et les moments de partage, le rire et les larmes rendent attachants tous ces personnages qui font penser qu’ils ne méritent pas leur sort.

          Fruitvale Station 2

          Ryan Coogler joue ainsi aussi sur la rédemption de son personnage principal. Dealer et consommateur, Oscar fume, et cela lui a coûté son emploi, ainsi que des disputes avec Sophiana, sa femme. Sans aller chercher à fouiller dans son passé pour montrer qu’il a changé, le réalisateur s’attaque de front à prouver que le héros a changé et qu’il ne mérite finalement pas tout ce qui lui arrive et ce qui lui arrivera. En 24 heures, il parvient à nous faire croire au départ d’une nouvelle vie pour son héros, un nouveau départ qui démarrerait le jour de l’an. L’envie d’en finir avec tous ces tracas quotidiens qui rendent sa vie précaire, l’espoir de sa femme qu’il arrête de lui cacher des choses « pour son bien, c’et ce qui fait d’Oscar un personnage sacrément touchant et bien plus conscient de son existence qu’il ne laisse y penser au premier abord. Que ce soient des discussions avec sa fille, des promesses faites à sa mère, le mélodrame gagne en intensité en projetant Oscar dans un futur rêvé mais qui se verra brutalement brisé. Les étapes de démonstration sont malheureusement mal amenées, car il s’agit ici de guider les émotions du spectateur uniformément, et non de le laisser réfléchir à l’existence des personnages, et les maladresses de narration peuvent rebuter le ressenti et donc l’impact direct des échanges entre tous les protagonistes.
          Flirtant constamment avec la frontière du cliché pénible et larmoyant, Fruitvale Station s’avère finalement une maladroite mais belle et juste poésie d’un homme aux espoirs d’une vie meilleurs qui se verront brisés bien trop rapidement. La puissance de la mise en scène de Ryan Coogler écrase sur son passage un parcours constamment borderline pour le transformer en une petite chose touchante, parfois bouleversante.


          Fruivale Station est une oeuvre d’une telle honnêteté de la part d’un cinéaste enragé par ce fait-divers révoltant qu’il en devient un film d’une efficacité folle malgré ses erreurs de « débutant ». Espérons que cette énergie qui anime la réalisation du film ne rende pas le cinéaste éphémère, et qu’il sache s’émanciper sur des sujets à gros potentiel.


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            Critique : Joe (David Gordon Green) /critique-joe-david-gordon-green/ /critique-joe-david-gordon-green/#comments Tue, 03 Sep 2013 17:46:38 +0000 /?p=8598 [one_third last="no"]Deauville[/one_third][two_third last="yes"]

            FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

            Edition 2013

            PREMIERE I HOMMAGE NICOLAS CAGE

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            Cette année, l’hommage dédié à Nicolas Cage représente aussi l’occasion pour lui de présenter en avant-première deux de ses nouveaux films : Joe et Suspect, situés à deux antipodes, l’un traitant d’un aspect noir et réaliste de l’humanité tandis que l’autre s’approche du canevas plus conventionnel du polar. Il s’agit aussi d’une occasion pour lui de se rattraper après les derniers films trop souvent médiocres auxquels il nous avait habitué. Celui qui nous intéresse aujourd’hui est le film de David Gordon Green : Joe. Le réalisateur, dernièrement acclamé pour le film Prince Avalanche au cours du Festival Paris Cinéma, tranche complètement avec la naïveté candide de la vie pour au contraire nous offrir un drame familial noir et dépourvu de toutes concessions. Précis et cru dans sa manière d’aborder son sujet, il n’hésite pas à le traiter de la même manière que ce dernier évolue au fil du récit. En se basant sur l’oeuvre de Larry Brown, David Gordon Green parvient ainsi à capter un fragment du Texas. Récit sombre et pourtant humain, où Joe est juge et victime, criminel et figure paternelle, ce film est aussi l’occasion pour Nicolas Cage de nous rappeler ce qui avait fait de lui l’acteur aujourd’hui reconnu. Car oui, Joe est bien ce qui pourrait être la première figure d’un nouveau Nicolas Cage, loin du superficiel, presque transfiguré dans l’underplaying.

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            Joe ne nous perd jamais. Et c’est assez rare aujourd’hui pour un film durant presque deux heures pour être noté. Nous tenant constamment en haleine, le réalisateur qui avait su se faire un nom par la comédie réutilise brillamment les différents codes de cette dernière pour nous offrir des pointes de cynisme et d’humour noir parfois oppressantes. Néanmoins jamais le film ne s’efface complètement devant la figure iconique de Nicolas Cage. Car ce sont bien les histoires de deux personnages qui se forment dans ce film : celle de Gary et celle de Joe. Ainsi, si la figure paternelle semble omniprésente, jamais le personnage incarné par Tye Sheridan n’avoue être un enfant, tout au contraire même. Dès que l’occasion lui est donnée, c’est en tant qu’homme que ce dernier agit.
            La pointe de cynisme présente n’est jamais source de comique de situation, parsemée et bien dosée, elle permet d’offrir de court instant de joie dans la violence omniprésente que propose Joe. Le personnage même de Joe a perdu de nombreuses années en prison, ce dernier a toujours beaucoup à apprendre de la vie, tout comme Gary, un vagabond vivant aussi bien que possible avec sa famille. Ainsi, selon les nécessités, le duo alterne les positions de père et de fils. Ce lien friable, David Gordon Green le détruit avec autant de facilité par le biais de la relation entre le père naturel de Gary et ce dernier. Avec cette même facilité déconcertante, qui pourtant aurait pu paraître grossière, une vraie empathie naît de cette relation. Empathie s’accentuant quand ce portrait de l’humanité commence à devenir de plus en plus concret. Car Green parvient à nous toucher à l’aide de la figure de son père. Ainsi, même si elle représente à elle seule la négation complète de ce que doit être l’humanité, à travers la courte introduction du film et quelques rires que laisse échapper le personnage, Green construit un personnage simplement détruit par une chose qui jamais ne sera offerte au spectateur.
            Pourtant, la figure paternelle que dessine le roman de Larry Brown n’a rien de celle enviable et rêvée, Joe est aussi franc que son image est construite de la manière la plus réaliste possible. Lorsque ce dernier se propose de dépecer un daim, celui-ci n’a rien de fictif, et son dépeçage par Joe nous touche lorsque que l’on sait qu’il n’ose pas à recourir à la violence pour progresser, sauf lorsque ce dernier se retrouve psychologiquement acculé par l’humanité. Ainsi, même si Joe est un homme perdu, sociopathe, il n’hésite pas à proposer une porte ouverte vers un avenir meilleur à toute personne aussi perdue que lui. Sorte de sauveur s’autodétruisant dans l’alcool et un désir refoulé dans la violence, ce sont par ses actes qu’il parvient à donner aux autres la confiance de croire en lui.

            Joe 2

            Récit intimiste, la caméra alterne une multitude de plans principalement fixes, même si majoritairement sa mise au point et sa frontalité nous colle complètement dans l’intimité des personnages. Lorsqu’elle propose un mouvement, jamais elle ne s’éloigne de l’humain qu’elle dissèque. Malheureusement, la photographie s’avère inégale, alternant de magnifiques plans de nuit, dessinant habilement la stature des personnages y évoluant, et de monotones scènes de jour, uniquement brisées par l’anarchie de la forêt où progressent les travailleurs de Joe. Néanmoins, le travail de David Wingo sur la bande-son s’avère extraordinaire, écrasant ou soulevant l’odyssée de cette nouvelle paternité contre l’indifférence, la musique parvient ainsi respectivement à symboliser l’atrocité de la situation comme la joie d’un instant éphémère.
            Mais comment ne pas rester subjugué simplement par le retour de Nicolas Cage à des rôles plus matures ? Utilisé entièrement à contrepoint, il parvient néanmoins à nous procurer une figure extraordinairement humaine, aussi faible que déterminée. Avec cette figure demandant une rigueur et une implication inhabituelle pour l’acteur en vue de ses dernières années d’activités, Nicolas Cage semble bien revenu d’entre les morts. Espérons maintenant que Suspect confirme ce retour pour un acteur qui ne mérite pas de tomber dans les abysses du nanard. Mais Tye Sheridan n’a rien à envier à l’acteur vedette. Le jeune acteur excelle une nouvelle fois dans ce type de personnage. Le professionnalisme dont il fait preuve depuis The Tree of Life puis Mud, faisant parfois de lui le visage d’un archétype détruit par une famille pittoresque, parvient néanmoins sans difficulté à nous fasciner une nouvelle fois, devenant le véritable deuxième visage du dytique que forme Joe. Jamais il ne parvient à assumer la réalité des choses qui pousserait pourtant n’importe quel autre humain à partir, laissant derrière lui les vestiges d’une famille détruite par la pauvreté. Son travail est aspiré par un père ivrogne, destructeur et autoritaire, et sa mère, pourtant au courant des dessous d’une telle relation, n’aspire jamais à une quelconque indépendance. Ce portrait vient compléter celui offert par Nicolas Cage. Celui-ci, déjà perdu dans ses propres problèmes n’hésite pourtant pas à offrir son aide à plus démuni que lui. Tout comme le premier, beaucoup dépendent de lui, et un visage féminin semble être la source d’inspiration que jamais ils ne parviennent à exprimer.
            L’autre force de Joe est de construire une figure complexe sans jamais jouer sur la redondance des mots. Ce qui peut être joué est ainsi dénué de paroles. Faith, le chien participe à cette figure, indépendante, mais attachante.
            Ainsi, le portrait que dresse chaque personnage participe à une fresque aussi noire que complexe. Cette ambiance qui découle de Joe nous secoue à chaque nouvelle évolution. Sous cette lourdeur, un unique rayon de soleil nous garantit alors un espoir fascinant. Rayon de soleil rapidement écrasé par un final déconcertant, apothéose de la noirceur de chaque personnage, pour enfin ne laisser que le bon dans un unique personnage, élève de cette violence pourtant irrésistible.
            Toutefois, une nouvelle fois dans le cinéma de David Gordon Green l’image de la femme semble être dévolu à servir le propos purement scénaristique, si implicitement la condition de la fille est offerte au spectateur par le silence dont elle fait preuve, sa mère, si ce n’est par quelques inserts, ne vit jamais au-delà du cadavre quelle représente. Il en est de même pour la petite amie de Joe, figure trop éphémère pour changer son personnage.


            Joe pourrait bien être le grand retour de Nicolas Cage, qui plus est au côté d’un acteur tel que Tye Sheridan en pleine ascension. Oeuvre noire et subversive, Joe confirme que David Gordon Green est un véritable auteur capable de jouer avec chaque genre, tant que ceux-ci permettent une retranscription exact d’une ambiance unique et d’une idée forte.


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              Heritage : L’Impasse (Brian De Palma) /heritage-limpasse-brian-de-palma/ /heritage-limpasse-brian-de-palma/#comments Fri, 28 Jun 2013 15:09:20 +0000 /?p=8285 L'Impasse 2Dix ans après la sortie de Scarface, Al Pacino retrouve Brian De Palma pour notre plus grand plaisir. Le moins que l’on puisse dire c’est que nous sommes en présence d’une œuvre atypique du cinéaste qui ne laissera personne insensible, comme en témoigne la réception plus que mitigée lors de sa sortie en salle en 1993, tant le film a pu diviser aussi bien la critique que le public. Pourtant il est aujourd’hui clair que L’Impasse est devenu l’une des œuvres majeures de la filmographie de Brian De Palma; il aura fallu près de deux décennies pour réhabiliter ce chef-d’œuvre du film noir.

              Comment expliquer un tel revirement alors que le film, accablé par les critiques, semblait destiné à rester dans l’ombre de son illustre aîné : Scarface ? C’est le soutien d’un grand nombre de défenseurs qui va amorcer le retour au premier plan du film, et qui va rendre justice au travail exceptionnel sur certaines scènes magnifiques tant par la maîtrise technique que par la manière dont le cinéaste traite de façons différentes l’univers de la pègre : là où Scarface dépeint un milieu ultraviolent et malsain, L’Impasse semble plus posé et surtout plus oppressant. Pourtant, malgré cette opposition évidente, les deux films semblent se faire écho. En effet, il est difficile de ne pas faire un lien entre Tony Montana et Carlito Brigante, l’un étant dévoré par l’ambition, l’autre n’aspirant qu’à la rédemption. Le scénario est signé David Koepp, à qui l’on devra notamment ceux de Jurassic Park, Spider-Man ou encore Hypnose (Stir of Echoes), le tout porté par un casting impeccable avec Al Pacino, Sean Penn ou encore Penelope Ann Miller.

              L’intrigue nous entraine à New York dans les années 70, Carlito Brigante (Al Pacino), ancienne figure emblématique de la pègre, vient d’être libéré après 5 ans de prison par son avocat véreux David Kleinfeld (Sean Penn), et aspire à une vie rangée loin du monde de la pègre. Il retrouve Gail (Penelope Ann Miller), la femme qu’il aime, et désire mener une existence paisible avec elle loin de New York. Mais Carlito va se rendre compte à ses dépens qu’il ne sera pas facile de tourner le dos à son passé…

              Le film démarre par un générique sublime en noir et blanc, où Carlito est grièvement blessé par balles sur le quai d’une gare sous les yeux terrorisés de celle qu’il aime. Alors proche de la mort, il se remémore pendant son transport aux urgences les évènements qui l’on conduit à cet instant tragique. Dès le début, le cinéaste reprend un procédé déjà utilisé dans certains classiques du film noir américain, où la fin nous est dévoilée dès le commencement. On peut notamment citer comme référence Boulevard du Crépuscule (Sunset Blvd)  de Billy Wilder. Le plus surprenant dans cette séquence d’introduction est le mouvement de la caméra qui s’incline et tourne sur elle-même, prenant des angles excessifs qui confèrent à la scène une dimension presque surréaliste, à la manière d’un rêve. Nous assistons à la scène à travers les yeux du personnage, puis progressivement nous nous détachons de lui pour terminer sur son visage, comme pour convier le spectateur à pénétrer l’âme du personnage. Ainsi le scénario se présente sous la forme d’une boucle où le spectateur assiste à l’histoire de Carlito à travers ses pensées, rendant son récit plus intimiste; se crée alors un suspense presque hitchcockien, nous amenant tout au long du film à espérer la rédemption tant attendue par le personnage.

              Impasse_1_Carlito

              La force du récit réside aussi dans sa construction : on assiste à une véritable tragédie humaine où le personnage, animé par une volonté sans faille de s’arracher de cet univers sombre, ne peut échapper à la main du destin. Le personnage interprété par Al Pacino est un ancien malfrat fatigué qui ne sait plus où se trouve sa place dans un monde qu’il ne reconnaît plus; son seul désir est de mener une vie paisible mais l’environnement dans lequel il évolue ne cesse de lui rappeler son passé, inspirant crainte et admiration.

              1511201212467596Carlito n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été, il erre tel un mort-vivant dans un monde où les codes ont changé, où les malfrats n’ont plus aucun sens de l’honneur, ce qu’illustre la séquence de la fusillade dans la salle de billard où Carlito est obligé d’avoir recours – contre son gré – à la violence afin de sortir de ce piège. L’idée dans cette séquence est de jouer avec la tension du spectateur en introduisant le premier moment de suspense du film : Carlito accompagne son cousin qui effectue un deal avec l’un des trafiquants mais quelque chose ne tourne pas rond et il commence à échafauder un plan. Le moment-clé intervient avec un gros plan irréaliste sur les lunettes d’un des trafiquants, où l’on voit le reflet d’un individu armé. Le reste de l’action est extrêmement rapide : Carlito neutralise les malfrats proches de lui. L’affrontement contre le leader est très dynamique dans sa mise en images : un travelling latéral vers la gauche suit Carlito alors qu’un mouvement de caméra en sens inverse accompagne son adversaire, montrant ainsi que son instinct et ses réflexes sont toujours aussi affutés. La suite de la scène, en dehors du bar, résume assez bien le combat que le personnage aura à mener tout au long du film lorsqu’il dit : «Je ne cherche pas les merdes, elles me tombent dessus, je me sauve, elles me courent après, il doit bien y avoir un moyen de les semer».

              cpt-2011-08-21-10h57m49s1291La symbolique du « piège », c’est bien là que le film prend sa dimension unique. Alors que l’on partage avec Carlito la joie de sa libération, tout retombe rapidement, laissant place à une inquiétude croissante qui peut se lire sur son visage à mesure que l’on avance dans le film. Carlito est partagé car sa détermination de changer se heurte à un passé qui ne cesse de le harceler sous toutes ses formes, à commencer par son ami David Kleinfeld, interprété par un Sean Penn méconnaissable mais tout à fait sublime dans le rôle de l’avocat véreux carburant à la poudre et sombrant progressivement dans une paranoïa qui aura pour conséquence une descente aux enfers presque irréversible pour Carlito. Un plan du film montre cette dualité du personnage qui oscille entre le bien et le mal lorsque Carlito somme Benny Blanco, un jeune malfrat qui le porte en admiration,  de ne plus jamais mettre les pieds au night-club ; la caméra filme en gros plan son visage, une partie est sombre tandis que l’autre baigne dans la lumière.

              La mise en scène particulièrement réussie de Brian De Palma, en plus de nous tenir en haleine, a la particularité de nous faire ressentir cette impression d’étau se refermant peu à peu sur le personnage. Le fait de vivre les évènements du point de vue de Carlito influe directement sur notre jugement, certainement une manière de mieux comprendre sa nature à travers ses états d’âme. Comme lui, nous nous sentons oppressés et nous nous débattons pour nous en sortir, rendant ainsi le personnage interprété par Al Pacino plus humain et plus attachant, au point d’espérer un dénouement heureux alors que tout semble déjà acté.

              L'impasse 7Pour mieux accentuer l’aspect dramatique du film, Brian De Palma intègre une romance au cœur de son récit entre Carlito et Gail, une danseuse interprétée par Penelope Ann Miller, qui sera en quelque sorte la motivation nécessaire au personnage pour ne pas succomber à ses anciens démons. Le cinéaste aura su en capter toute l’intensité sans pour autant que cette romance en devienne kitch, le tout s’articulant tellement bien avec l’intrigue. La séquence la plus remarquable est certainement le moment où Carlito, dans l’embrasure de la porte (léger clin d’œil à Shining ?), entrevoit le reflet de Gail se déshabillant dans le miroir, l’invitant à briser la chaîne retenant la porte qui les sépare, ce qu’il fait aussitôt. A ce moment précis la caméra opère un mouvement rotatif autour des deux amants, comme pour symboliser le transport des sentiments dans un tourbillon de passion sur la musique You are so beautiful de Joe Cocker faisant presque penser à une autre séquence romantique célèbre du cinéma entre Patrick Swayze et Demi Moore dans Ghost, sorti trois ans plus tôt.

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              La partition musicale composée par Patrick Doyle est d’ailleurs l’un des moteurs essentiels de la mise en scène. Il s’agit de la première collaboration du compositeur avec Brian De Palma, pour un résultat de très bonne facture puisque la musique semble parfaitement s’accorder à chaque situation du film ; on a vraiment l’impression que chacun des thèmes musicaux a été pensé pour mieux dépeindre les sentiments et émotions des protagonistes. On distingue d’ailleurs deux types de musique, la première étant celle que je viens d’énoncer, s’avérant nécessaire à encadrer les moments forts de la mise en scène, et la seconde reprenant simplement des classiques de la musique disco représentative du monde de la nuit dans les années 70.

              L’intrigue du film bascule au moment où Carlito, se sentant redevable de David pour sa remise en liberté, décide de lui porter secours quand celui-ci est contraint de faire échapper de prison un grand ponte de la mafia new-yorkaise à qui il a dérobé une énorme somme d’argent, au risque d’anéantir définitivement ses chances de respectabilité. La séquence du bateau sur le fleuve, aux alentours de la prison flottante de Rikers, teintée d’un bleu nuit presque irréel et emprisonnée dans la brume, symbolise le moment précis où Carlito n’aura plus la moindre emprise sur un destin qui irrémédiablement lui échappe. David se débarrasse du chef mafieux et de son fils devant un Carlito totalement décontenancé car il se rend compte que les actes de David viennent de les condamner : «Quand on franchit une certaine limite, on ne peut pas revenir en arrière. Le point de non-retour, Dave l’avait franchi, et moi avec, ce qui veut dire que je suis du voyage.» Dès lors, la machine implacable du destin est en marche, précipitant les évènements à un rythme effréné, où chacun des protagonistes aura des comptes à rendre.

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              Le point culminant de L’Impasse intervient avec la séquence finale où s’exprime tout le savoir-faire de technicien de Brian De Palma pour faire monter la tension des spectateurs. Carlito devient la cible de tueurs à la solde de l’une des puissantes familles mafieuses (dont le chef a été tué par David comme énoncé précédemment). Cette poursuite haletante débute dans le métro new yorkais où la caméra suit les déplacements de Carlito de wagon en wagon, talonné de près par ses poursuivants; la scène est entrecoupée de plusieurs plans extérieurs qui accentuent l’aspect confiné de l’espace, laissant un champ de manœuvre restreint à Carlito pour semer les tueurs.

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              De Palma introduit dans cette séquence une autre action en montage alterné où Gail attend Carlito à la gare ; on observe que le cinéaste choisit de cadrer la pendule avant de venir se placer sur elle, ce qui n’est pas anodin car la pendule symbolise la course contre la montre dans laquelle Carlito est engagé. Alors qu’il est quasiment piégé à une station, un groupe d’officiers de police fait son entrée et l’action est momentanément suspendue au profit d’un suspense redoublant en intensité. La suite de la poursuite nous amène au Grand Central Terminal de Manhattan où l’on retrouve d’autres procédés techniques que le cinéaste affectionne particulièrement. En effet, la scène se décompose sous la forme de plusieurs plans-séquence d’une fluidité parfaite lorsque Carlito tente de se cacher dans la gare, impliquant le spectateur à suivre tous ses déplacements. Le cinéaste utilise même toutes les possibilités du décor à sa disposition pour représenter plusieurs actions simultanément en incorporant plusieurs cadres dans l’image. 900_carlitos_way_blu-ray7xL’action se poursuit avec la scène de l’escalator où se déroulera la fusillade peu de temps après. On notera aussi le placement de la caméra dans certains plans – par exemple le cinéaste nous offre la possibilité de suivre l’action d’un autre point de vue en filmant la scène d’en haut, procédé qu’utilisait Alfred Hitchcock dans certains de ses films, notamment Les Oiseaux (The Birds) où la caméra adopte le point de vue des oiseaux qui surplombent la ville. La scène de fusillade dans l’escalator fait d’ailleurs écho à un autre film de Brian De Palma, Les Incorruptibles (The Untouchables), sorti quelques années plus tôt, avec la fameuse scène de l’escalier (étant déjà une référence du chef-d’œuvre de Sergueï Eisenstein Le Cuirassé Potemkine). Bien que nous connaissions déjà le dénouement, le film tente de nous le faire oublier. En effet, le cinéaste nous implique tellement sur le plan dramatique que l’on n’imagine pas un instant que Carlito ne puisse pas s’en sortir ; nous savourons comme lui la perspective de l’avenir tant espéré qui lui tend enfin les bras. Mais nous voilà revenus au point de départ de notre récit, et la vision qui s’offre à nous semble prendre un tout autre sens : l’introduction noir et blanc conférait un aspect presque onirique à la séquence, alors que la vision de cette même séquence, cette fois-ci en couleur, agit sur nous comme un retour brutal à réalité. Le film s’achève sur une image paradisiaque qui s’anime sous les yeux de Carlito, seul vestige d’une réalité que le personnage n’aura pas l’occasion de connaître : «J’ai eu une nuit difficile. Je suis fatigué, mon amour, fatigué…».

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              Brian De Palma réalise un drame humain à la beauté somptueuse et intemporelle, dont la mise en scène remarquable délaisse totalement l’aspect baroque de Scarface pour aller vers une forme de classicisme auquel le cinéaste ne nous a pas forcément habitué. L’Impasse est ainsi son œuvre la plus forte et la plus attachante, où il laisse une nouvelle fois éclater tout son génie et sa passion. Pourtant le succès ne fut pas immédiat, beaucoup de spectateurs et de critiques, encore marqués par le souvenir de Scarface, s’attendaient à voir un film dans la même lignée et il aura fallu du temps pour le réhabiliter et le considérer à sa juste valeur.


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                Critique : L’Ecume des jours (Michel Gondry) /critique-lecume-des-jours-michel-gondry/ /critique-lecume-des-jours-michel-gondry/#comments Wed, 24 Apr 2013 06:30:07 +0000 /?p=8063 L'écume des jours - AfficheAujourd’hui, l’on dit souvent que le phénomène d’adaptation rend le cinéma pauvre, et que par conséquent il semble incapable de se construire lui-même autrement que par la littérature. Et pourtant, certains livres semblent encore attendre inlassablement l’instant où les cinéastes qui leurs étaient destinés viendraient à s’arrêter le temps d’un film, sur eux. L’écume des jours de Boris Vian n’était pas de prime abord l’un de ces romans, car un récit hors-normes appelle à être travaillé par un homme hors-normes. C’est ainsi que Michel Gondry c’est annoncé, comme cet homme en marge de la société et pourtant réaliste sur son contenu, et par conséquent capable de mettre en image l’absurde et l’inadaptable.
                Le cinéaste qui avait déjà laissé divaguer son imagination à travers La Science des Rêves, nous ouvrant l’hémisphère gauche de son cerveau, revient alors sur un film paradoxalement plus personnel et aboutit que ce dernier. Car L’écume des jours, au-delà de la profondeur de ses ambitions, de son rôle de vilain petit canard du cinéma français, fils bâtard de la performance artistique et du cinéma, s’avère être un film osant prendre son spectateur à rebrousse poil, le mettant dans une position inconfortable afin de mieux le mettre en face de certaines réalités. Que ce soit dans aussi bien dans son image que dans sa composition du cadre, Michel Gondry, laisse place à l’artiste, celui qui, il y a encore peu de temps, divaguait dans les couloirs du centre George Pompidou, celui qui, par une imagerie plastique impénétrable, rend compte de la société qui l’entoure par des substituts humbles et poétiques.
                Michel Gondry explore alors le monde tout comme Terry Gilliam avait su le faire il y a presque une trentaine d’années en signant Brazil, et par le même outil que celui-ci, confirme son génie artistique.

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                Les machines à écrire s’élancent, et d’un fil unique se forge l’histoire de Colin, ainsi s’ouvre le film. Alors que Boris Vian s’amusait à imaginer ce que serait notre société, assaisonnée d’un brin de folie, par la plume, Michel Gondry se fait son interprète par l’image et nous offre un constat, sorte de regard précis sur la société qui est née de ces rêves : « ce sont les objets qui changent, pas les gens » ainsi est cité l’auteur.
                Michel Gondry s’est toujours amusé à jouer avec les sentiments de son spectateur. Excellant dans l’épuration pour nous prendre à revers, ici le cinéaste français va plus loin, comme dis ci-dessus, le film prend son spectateur à rebrousse poil, il faut ici comprendre que le spectateur ne voit pas sa vie mise en parallèle avec l’aspect mélodramatique de la romance en putréfaction des personnages de Colin et Chloé. Le spectateur assiste tout comme les personnages clés à contrecœur à la disparition involontaire d’un amour pur pour lequel l’un comme l’autre sont capables de se donner entièrement. Mais cet anéantissement,  sorte de descente aux enfers trop brutale, sauvage, jouant toujours sur des artifices « gondryiesque », crée chez lui un sentiment de bouleversement plus que de rapprochement.
                Malgré une première impression générale, après réflexion, il ne parait pas nécessaire d’avoir lu le roman de Boris Vian pour comprendre l’étendu du film de Michel Gondry, car le cinéaste va plus loin qu’adapter le roman, il lui offre une nouvelle identité. Ainsi, le sentiment de perte de repères pourrait être même plus fort chez le connaisseur plutôt que chez le néophyte. Le lecteur de l’œuvre de Boris Vian, et c’est l’une des raisons pour lesquelles L’écume des jours était considéré comme inadaptable, s’est amusé durant de nombreuses années à rêver le monde dans lequel progressait ce manifeste romantique.

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                Certains diront surement de L’écume des jours que Michel Gondry se contente au final de faire du Michel Gondry, que le résultat qui en découle crée un aspect aseptisé empêchant le spectateur de profiter du récit et des sentiments tels que les offraient librement Boris Vian. L’argument se valide dans sa première partie, sorte de ménagerie robotique où Alain Chabat et Sacha Burdo se croisent, instruments d’une vie fantaisiste. Mais pourtant, cette image n’est que la toile dont Michel Gondry se sert comme support.
                Le cinéaste ne fait en réalité que peindre ici une société superficielle, où l’accessoire a plus d’emprise sur la vie que l’humain, où l’objet vous empêche d’avancer - là où chez Gondry ils permettaient d’offrir un nouveau souffle à l’avenir -, où l’on parle d’amour comme de l’achat du nouveau livre d’un auteur à la mode. Cette superficialité est alors paradoxalement amenée à disparaitre avec l’anéantissement de l’espoir, laissant alors au film l’idée vague que tout parait plus triste mais plus vrai dans la vie de tous les jours.
                De plus, voir Michel Gondry jouer avec ses pinceaux n’aura jamais rien de désagréable. L’homme de la vielle école, s’amusant avec les outils d’une autre époque, mélangeant pixelation et stop-motion, ne s’arrête jamais dans cet élan créatif plus que bienvenu à une heure où les images de synthèse se vantent d’être la seule solution parmi tant d’autres. Cet aspect est renforcé par le jeu qu’opère le réalisateur sur les différents outils que lui propose naturellement le cinéma. Force est de constater qu’il est bien magicien, et donc en cela qu’il nous éblouit par le biais d’artifices pourtant communs à tous.

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                Construit en deux actes, chacun joue à tirer partie de deux sentiments antagonistes naissant dans le cœur du spectateur, L’écume des jours s’avère être un récit plus complexe qu’il n’y parait. Si ces deux parties s’opposent dans un premier temps par un travail des couleurs intelligent, l’overdose sombrant dans la prose monochrome, la folie des couleurs à l’épuration de l’artificiel, la montée en crescendo entre ces dernières nous permet de voir un certain ordre des choses dans cet essor romantique.
                Sous cette légèreté, Michel Gondry aborde tout de même de graves sujets, qui mis en scène, nous rappellent fortement qu’au-delà de la joie de vivre éphémère se cache parfois les jeux du hasard de la vie, de la nature. L’addiction - littéraire, presque même religieuse, mais dans cet univers équivalent à une drogue pure - de Chick, l’écrasement perpétuel du microcosme de Colin, sont tant d’exemples d’un monde qui ne fonctionne plus correctement.
                Enfin, malgré ce que l’on aurait pu croire, le film, et surtout l’auteur qu’est Michel Gondry, ne disparait pas derrière son casting. Chaque acteur offre une image personnelle et juste de ce monde triste. Romain Duris incarnant Colin, personnage clé imposé par le destin autour duquel gravite chaque protagoniste, évolue constamment à travers le récit. Audrey Tautou ne se contente pas de ressasser le personnage d’Amélie Poulain, pour nous offrir un rôle certes éphémère mais d’une justesse poignante.


                L’histoire surréelle et poétique d’un jeune homme idéaliste et inventif, Colin, qui rencontre Chloé, une jeune femme semblant être l’incarnation d’un blues de Duke Ellington. Leur mariage idyllique tourne à l’amertume quand Chloé tombe malade d’un nénuphar qui grandit dans son poumon. Pour payer ses soins, dans un Paris fantasmatique, Colin doit travailler dans des conditions de plus en plus absurdes, pendant qu’autour d’eux leur appartement se dégrade et que leur groupe d’amis, dont le talentueux Nicolas, et Chick, fanatique du philosophe Jean-Sol Partre, se délite.


                Du film de Michel Gondry, il n’y aura surement pas qu’une lecture universelle, qu’une manière de voir un objet si atypique au sein du paysage français et même international si normé, et alors même qu’il donne une image à l’inadaptable, l’œuvre semble de nouveau nous filer entre les doigts, à travers un somptueux mélange de poésie et de spleen.
                Titre Français : L’écume des jours
                Réalisateur : Michel Gondry
                Acteurs Principaux : Romain Duris, Audrey Tautou, Gad Elmaleh
                Scénario : Luc Bossi & Michel Gondry d’après l’œuvre de Boris Vian
                Photographie : Christophe Beaucarne
                Compositeur : Etienne Charry
                Genre : Drame
                Durée : 2h 05min
                Sortie en Salles : : 24 avril 2013

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                Critique : Cloud Atlas (Andy, Lana Wachowski et Tom Tykwer) /critique-cloud-atlas-andy-lana-wachowski-et-tom-tykwer/ /critique-cloud-atlas-andy-lana-wachowski-et-tom-tykwer/#comments Thu, 14 Mar 2013 21:52:34 +0000 /?p=8004 Cloud Atlas - AfficheA l’heure où l’on dit que les irrésistibles ne font pas long feu, que les auteurs sont voués à se marginaliser pour réussir un projet, les Wachowski continuent à se dresser tel un chef de fil unique dans ce monde qu’est celui du cinéma indépendant. Après l’échec cuisant de Speed Racer, à moitié explicable par son esthétique cloisonnée empêchant le spectateur de se douter du projet intellectuel monté sous cet aspect haut en couleurs, Cloud Atlas, ce projet fou d’envergure, naissait bien loin du temps où n’importe quel studio se serait jeté à bras le corps par la simple mention du nom Wachowski. Cette fois-ci, ils sont rejoints par Tom Tykwer, permettant une peinture complète de cet univers pluricellulaire autrement impossible.
                Et pourtant, après un décalage de sortie invraisemblable en France, confirmant le manque d’assurance de la part de Warner quant à sa distribution et son succès, il est désormais temps pour le film de faire volte-face, et nous rassurer sur la qualité d’une pièce artistique hors du commun.
                Depuis Griffith et ses deux biographies de l’humanité, jamais le terme de fresque humaine n’avait trouvé si belle représentation. Et pourtant, le projet était bien loin d’être le plus facile et le plus évident à réaliser. Le livre de David Mitchell avait été placé précieusement sur cette liste noire des scénaristes : l’inadaptable.
                Cloud Atlas est un récit unique découlant de six autres récits. Séparément, chacune de ces parties se dirige dans différents sens, avec différents buts, tandis que dans leur globalité, c’est une véritable architecture logique et chronologique qui se forme. Si le spectateur pourra la première fois être déconcerté face au résultat filmique qui en naît, véritable tour de force technique, une fois prêt à aborder un tel récit, c’est un nouveau niveau narratif qui s’offre alors à lui. Car l’on pourra dire ce que l’on veut de Cloud Atlas, d’un côté qu’il s’agit d’un film prônant une philosophie de comptoir – tout en philosophant maladroitement sur la nature du sexe de Lana Wachowski, allez comprendre le paradoxe -, qu’il s’agit d’une œuvre incomplète, incompréhensible, mais pour ne pas tomber dans une lecture si simple, peut-être faut-il parfois prendre un peu de recul, et laisser à une telle œuvre, qui le mérite, une seconde chance.

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                Si chacune des histoires semblent à première vue étrangères l’une à l’autre, un fil directeur, prenant la forme d’un héritage infini, renaissant toujours à travers de nouveaux personnages souvent sous la forme de traces écrites, prend rapidement forme. Dans l’œuvre originale, chacune de ces dites histoires étaient abordées de manière indépendante, partant sur une moitié pour s’achever logiquement sur la seconde un peu plus tard. Pour chaque histoire, un personnage récurent, sorte de noyau autour duquel tournent divers électrons prenant eux même part à différents niveaux de chacune de ces histories. Le film s’efforce donc dans un premier temps de nous introduire chacun de ceux-ci, tout en liant d’abord leurs histoires par un procédé ingénieux. Ainsi se met en place le jeu des masques, sorte de bal envoutant, le film démarrant dès les premières minutes. Pour que le spectateur ne se retrouve pas désorienté, une figure se glisse sur deux histoires se chevauchant l’une après l’autre, même durant un court instant, le visage Halle Berry nous permet de distinguer les univers de 1936 et 1973, ou Tom Hanks entre 2012 et 2144. Ces simples apparitions, mêmes courtes, nous fixent peu à peu chaque univers, car même inconsciemment notre cerveau distingue chacune de ces apparitions, dépassant ainsi le simple jeu. Les Wachowski manipulent alors avec aisance le montage devenant soudain libre de tout mur imaginaire, détruisant alors toutes cohérence chronologique pour ne se consacrer qu’à celle narrative. Les limites géographiques, culturelles, ou ethniques fondent alors, ne créant plus qu’une unique entité violente. Cette idée équivoque met alors en abyme le seul sujet inhérent et universel à chaque instant du film : cette réincarnation incessante de l’esprit à travers les âges. Passé cet instant, ces histoires se mélangent rapidement pour n’en faire plus qu’une. Cette histoire unique, naissant de concepts humains, devient l’œuvre d’une vie, non pas étalonnée à une vague tranche d’années, mais à tout ce que celle-ci représente, à travers son âme. Cloud Atlas se place alors d’emblée hors de portée des considérations manichéennes cinématographiques habituelles. Le but n’est pas de peindre vainement les vices de l’humanité. Présents en arrière-plan, contrebalançant les idées des protagonistes principaux, victimes ou mettant à jours ces injustices, c’est dans le libre arbitre et l’assurance d’un secret espoir que se noue la trame narrative. Ce n’est pas à partir du bien ou du mal, ni de la valeur morale de nos actes, qu’est écrite chacune des pages de son histoire, mais par son humanité. Cloud Atlas ne cherche pas non plus à alourdir son sujet déjà explicite par une morale imposante, car face à une telle fresque, elle aurait de toute façon parue désuète et bien trop quelconque pour justifier un tel fardeau critique. Si certaines idées sont ainsi évoquées, ce ne sont à chaque fois que de multiples pans de l’humanité qui nous empoignent à tout instant de notre vie.

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                La répétition de nos erreurs ou encore la quête de rédemption, sont des idées loin de nous être inconnues, pourquoi alors se poser une multitude de questions complexes sur des sujets qui finalement ne font pas que nous parler, mais nous tiraillent tout autant que chaque choix de notre vie, lorsqu’il y a quelque chose de plus grand à raconter ? C’est de là que vient toute la force de Cloud Atlas, chacune de ces six histoires prises séparément ne sont pas toutes si extraordinaires, car représentent finalement la banalité de nos vies. Dans chacune ce sont les choix entrepris par chaque personnage qui changent, et seul l’impact de ces derniers sont nuancés au fil du temps. Œuvre polyphonique, nous envoyant continuellement une légion de messages, voguant sur le rythme du sextet dont il tire le nom, voilà ce qu’est véritablement Cloud Atlas. Tel une troupe de chefs d’orchestres, Lana & Andy Wochowki, accompagnés de Tom Tykwer, dirigent cette œuvre symphonique sans fausses notes. Ainsi, c’est un tout qui en sort, nous empêchant d’accorder une valeur à chaque histoire mais plutôt à cette seule histoire sensible et honnête qui résulte de cette symbiose alors que son final s’abat sur nous. Chaque petit élément prend alors une certaine valeur, certaine thématiques ressortent plus souvent, comme l’idée de l’âme sœur, application idyllique d’un rêve commun. Mais une nouvelle fois, ces idées, tout comme dans Matrix, impliquent de s’accorder un instant de paix, et, si besoin, à élargir notre vision et accepter de croire un instant en une multitude de concepts dont la poésie atteint de véritables sommets, mais qui au jour le jour ne nous touchent pas plus que cela. Cloud Atlas représente dans un sens tout ce dont avaient pu rêver Koulechov & Eisenstein avec leurs idées de montage. Tout le film n’est qu’un enchainement de sensations formulées par la combinaison d’images distinctes. C’est cet emboitement interminable et fascinant qui crée tout l’intérêt de Cloud Atlas, imagerie naissante de ces histoires distinctes. L’histoire de Cloud Atlas, est, telle son morceau, fougueuse, incontrôlable, mais surtout au-delà des images, plutôt entre chacune, formant une image distincte et ensorcelante au sein de notre psyché et non de notre vue, si bien que même une pirouette scénaristique s’oublie dans cet océan d’émotion. Car malgré tous les défauts que certains pourront trouver au film, c’est bien à travers son montage que Cloud Atlas semble mettre d’accord chacun de ses spectateurs. C’est dans cet aspect que le film affiche le plus le génie Wachowski. Il est difficile de croire qu’un tel chef d’œuvre naisse du travail d’un homme comme Alexander Berner, dont les derniers travaux sont loin de pouvoir refléter autant d’ambition et de talent. Tout le monde n’est pas capable de mettre un personnage, au cours d’un même instant, sous deux positions de forces bien distinctes, alors comment le pourraient-il au cours de tout un film ?

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                Chaque instant du film met ainsi en relation une sorte de dualité de séquences, permettant de naviguer entre la tension et les émotions de chaque histoire à partir de liens pas toujours équivoques et nécessaires dans l’image, mais plutôt dans la situation des personnages. Le sauvetage, la vérité, la découverte, l’amour, le mystère, la virtuosité d’un instant apparemment éphémère et unique sont tant de concepts reliant logiquement chaque pas de chaque histoire, empêchant alors le spectateur de se contenter des codes d’un genre, quand il possible de profiter de tous. Cloud Atlas c’est aussi cela, une parfaite compréhension de chaque genre mis en image, pour une histoire. Le drame, le mélodrame, la comédie ou même la science-fiction font alors parti de l’amorce de Cloud Atlas. Cette manière d’aborder ces genres, que ce soit par le biais du travail des Wachoski ou de Tykwer force le spectateur à s’intéresser dans un premier temps à la richesse de chaque univers, à retrouver le genre lui parlant le plus dans cette tempête d’images. Et pourtant, que ce soit à travers le huis-clos se déroulant en 1849 ou dans cet hommage sur-référencé de Neo Seoul, tous deux réalisés par les Wachowski, ou bien dans l’univers comico-british ou dans le polar des années 1970 par Tykwer, tous finissent par se valoir, la faiblesse de certains se compensant rapidement par cette idée de montage en puzzle.
                Néanmoins, durant ses trente dernières minutes, plus rien ne compte plus que cette œuvre devenant une seule après une monté en crescendo de chacun de ses instruments musicaux. La cruauté de certaines images, leur honnêteté dans le travail de la mise en scène, osant tâcher le blanc immaculé d’une seule goutte de sang tranchant avec le reste avant de nous faire sombrer sans préliminaires dans la cruauté pure mélangée à l’espoir, font que le film se dégage de tout canevas. Il ne nous est alors plus permis de douter que Cloud Atlas est bien une seule et unique fresque, sorte de Picasso s’efforçant de nous montrer chaque facette de l’humanité sur une même image, avant de la sauver une nouvelle fois, par la plus pur et artificielle de ces fractions. Celle-ci, jouée par Doona Bae est magnifique dans son rôle, celle qui nomme les gens prophètes devient ce même prophète, voix d’idées universelles et pourtant incomprises d’une humanité plus encline à la répétition qu’à l’innovation de l’esprit. Si les mœurs changent, si les Hommes changent, ce qui les fait Hommes, cette conscience, où cette âme quel que soit le nom que l’on puisse lui donner, semble obstinée, et pourtant encline à changer si la volonté lui est donnée.


                À travers une histoire qui se déroule sur cinq siècles dans plusieurs espaces-temps, des êtres se croisent et se retrouvent d’une vie à l’autre, naissant et renaissant successivement… Tandis que leurs décisions ont des conséquences sur leur parcours, dans le passé, le présent et l’avenir lointain, un tueur devient un héros et un seul acte de générosité suffit à entraîner des répercussions pendant plusieurs siècles et à provoquer une révolution. Tout, absolument tout, est lié.


                Entre les critiques exécrables et la fratrie Wachowski, il n’y a presque qu’un pas à faire pour être catégorisé et voir son avis vaporisé en quelques secondes. Représentant à la fois tout ce que les deux réalisateurs ont toujours aimé mettre en scène et une histoire ambitieuse, Cloud Atlas devient un véritable chef-d’œuvre humain. Si en revanche vous n’avez pas été touché par la force de son propos la première fois, que votre œil n’a pu se concentrer que sur son montage, n’hésitez pas à revoir le film, et à laisser quelques larmes suivre ce nouveau plein d’émotions.
                Titre Français : Cloud Atlas
                Titre Original : Cloud Atlas
                Réalisateur : Andy, Lana Wachowski & Tom Tykwer
                Acteurs Principaux : Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent
                Scénario : Andy, Lana Wachowski et Tom Tykwer D’après l’oeuvre de David Mitchell
                Photographie : John Toll & Frank Griebe
                Compositeur : Tom Tykwer, Johnny Klimek & Reinhold Heil
                Genre : Drame, Science fiction, Thriller
                Durée : 02h45min
                Sortie en Salles : 13 mars 2013

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                Critique : Spring Breakers (Harmony Korine) /critique-spring-breakers-harmony-korine/ /critique-spring-breakers-harmony-korine/#comments Mon, 11 Mar 2013 09:00:34 +0000 /?p=7882 Spring Breakers - Affiche 2Mis en avant comme nouveau film de la génération Y, à l’instar de Projet X l’année passée, le long métrage d’Harmony Korine, Spring Breakers, s’avère au final aller bien plus loin que cette idée réduite et désuète. Clarifions ce point, afin de mieux démontrer par son inverse à quel point le film s’adresse au final à un public plus mature que celui visé. Pourtant, à travers la communication, c’est plus la génération YOLO - Y(ou)O(nly)L(ive)O(nce) – qui semble visée, phénomène répandu surtout aux États-Unis. Le concept ? Profiter de chaque jour comme si c’était le dernier. Fumette, alcool, sexe, drogue, et comme on aurait pu le dire à une autre époque bien plus classe, Rock’n'roll. Pour certains, le terme vous rappellera peut être le concept d’une de ces émissions passant en pleine nuit, sur laquelle on tombe par infortune en zappant entre deux programmes. L’idée est donc d’émerveiller notre petite génération en lui offrant un contenu, qui, il paraîtrait, lui soit adapté, boobs, drogue et sexe donc.
                L’idée ne vous convainc pas? Et bien rassurez vous, Spring Breakers se trouve à fortiori à son opposé le plus total. Certes le postulat de départ nous renvoie clairement à la débauche du plaisir, mais, plus Harmony Korine nous plonge au cœur son univers, plus ses idées semblent progresser dans un concept dépassant toute logique vraisemblable. Spring Breakers brise alors les propres limites qu’il s’impose pourtant lui même en abordant un sujet aussi opportuniste et attendu.
                Il est par contre étonnant - dans notre France bien puritaine - de voir le film affublé d’un « déconseillé aux moins de 12 ans », le film s’adressant clairement à un public plus mature et surtout apte à encaisser un tel choc visuel et sensationnel. Ce n’est pas pour rien qu’Harmony Korine décrit son film de véritable descente sous acides. Scandales et promotion se mélangent alors avec facilité au fur et à mesure que le film s’approche de nos salles.

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                Petit aparté : qu’est-ce que le Spring Break ? En France, on ne connaît pas vraiment l’ampleur d’un tel phénomène, ici, on boit, on picole toute l’année, mais jamais l’on a d’événement officiel résonnant avec bikini, sable fin, et folie compulsive sexuelle. Voilà ce qu’est le Spring Break, littéralement, la pause du printemps, un instant libertin entre deux moments de dépression massive journalière. Les sulfureuses Candy (Hudgens), Brit (Benson) et Cotty (Korine), ainsi que leur chaste amie Faith (Gomez) – rêveuse, assistant à des messes punk dérangeantes -, sont nos Spring Breakeuses, et Alien (James Franco), est leur ancre dans ce milieu bien sombre au réveil.
                Là où Projet X avait rapidement sombré dans un sujet abscons, profitant d’un opportunisme creux et stérile, jouant une carte symbolisée par de nombreux billets verts, Harmony Korine propose lui la fresque d’un monde rêvé et imagé par cette génération dont les héros atypiques sont Scarface et My Little Pony. Cette inspiration, on la trouve mélangée au sein d’une frustration maladive, inconsciente, ne prenant jamais naissance, restant constamment figée dans cet instant morose et banal, qu’est la vie. Cette image de cette génération, pas totalement vraie dans un premier temps mais surtout typiquement américaine, globalement sexuelle, médisante sur ses actions, parlant de spiritualité et d’amusement, n’a rien de ce que l’on appelle aujourd’hui la génération Y. Celle qui s’est reconnue à travers justement Projet X, sera sûrement déconcertée par le résultat final, Harmony Korine dressant somme toute non pas l’idéal d’une minorité mais bien le portrait d’un fragment de l’inconscience humaine. Cette folie créatrice, celle ne ce souciant plus de rien, d’aucune morale, tout cela afin de mieux reconstruire ses idées, à première vue répulsives, s’avère pourtant peu à peu logique dans le fil des choses que peint sur sa toile Harmony Korine. Véritable peintre, sorte de Pollock du cinéma, anarchique et pourtant totalement cohérent, il nous abreuve d’un récit haut en couleurs, et ce, dans tous les sens du terme. Cette mise en image prend vite la forme d’un mariage, sorte de relation extrême entre deux sentiments antagonistes, amour et violence, se frottant ainsi à la passion pure comme la décrivent certains. Il ne se contente pas de profiter du monde qui lui est offert, de se contenter d’une idée, il met en scène tout un autre monde intrinsèque au notre, qui au final s’apparente plus à celui dont Alien dit venir.
                Les filles venimeuses, sortes de succubes modernes, voulant enrôler leur dernière amie, voient leur relation plus qu’explicite, charnelle, se dissiper peu à peu, pour devenir vitalité pure, jusqu’à ne faire plus qu’une durant un dernier excès de violence. A chaque instant du film, ces deux émotions s’équilibrent mutuellement, laissant place alternativement l’une à l’autre. Alors, ces filles qui ne pouvaient se séparer se fragmentent peu à peu, devenant presque étrangères entre elles.

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                Dès que l’une d’elle quitte le groupe, elle disparaît à jamais, hors de ce monde rose et fou que leur propose Alien. Et malgré cette idée que propose Harmony Korine, que la banalité est un lieu dont l’on veut s’échapper, mais qui au final s’avère sans doute être notre seul havre de paix, il ne peut s’empêcher d’en faire un société monochromatique et triste, tout en contraste avec les jeux de lumières incessants dans ce monde où seule la nuit fait office de journée.
                Spring Breakers est par conséquence plus que visuel dans ses propositions, s’attardant moins sur une quelconque continuité narrative, n’allant par quatre chemins pour montrer son cheval de guerre. Cette profusion de scènes de chairs continuelles en deviennent pourtant vomitives, excès dont finalement le monde banal cherche à éviter, après les vanités de la participation et de l’envie que l’on aime à porter pour se faire paraître normal. Pourra-t-on dire que le film propose parfois une imagerie trop gratuite ? Peut être, mais Korine n’est jamais réellement provocateur, car il nous dégoûte aussi de l’imagerie qu’il façonne, ne pouvant jamais être le reflet parfait du rêve, ayant ses hauts et ses bas fatals, symbole finalement parfait de la faiblesse humaine. Pour appuyer cette fureur, Harmony Korine utilise le même montage parallèle, poussant à l’extrême la cohérence temporelle, qu’il avait esquissé sur le court-métrage Lotus Community Workshop. Sorte de montage en roue libre, gardant une certain cohérence globale temporelle, mais nous dirigeant rapidement sur de fausses idées, des clichés, le résultat final s’apparente vite à un rêve. A chaque instant l’on essaye d’imaginer toutes les possibilités d’une histoire pour mieux en comprendre le sens. Cette roue libre, construite dans une première partie par des idées de mise en scène extravagantes, morphing ou encore found footage, nous prend totalement dans l’histoire que tente de nous faire vivre, et non pas voir, Harmony Korine. Benoit Debie, l’homme qui avait rendu Enter the Void si atypique ou qui très récemment avait fait l’image du délirant Kill the Gringo, signe ce qu’il reste de cette peinture collective.
                Sorte d’odyssée folle, dont le terrain, si bien mis en parallèle à la mer, et intrinsèquement, le monde, par Alien, est un endroit dangereux pour de telles filles, pleins de requins prêt à profiter d’elles. Il n’empêche que ces dites-filles, sont loin des enfants de chœur voués à un vice prochain que l’on aurait pu voir évoluer au cours du film. Ces dernières sont déjà ce qu’elles auraient pu devenir à la fin du film, prenant toute sa narration à l’inverse du sens conventionnel. Le coup de feu symbolique, contre-poing sonore, joue avec le montage sur un autre extrême artistique. Durant tout le film, ce son extra-diégétique n’a cesse de nous attirer, de nous déranger, de nous intriguer, et pourtant, quand il est question pour lui, d’intervenir, il se tait, comme un enfant égoïste.

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                Alors qu’il nous a amené jusque là à nous préoccuper constamment d’une menace évidente, son absence soudaine, brutale, remplacée par les derniers mots testamentaires des filles restantes, nous injecte directement dans leurs esprits. Encore une fois, pourquoi s’encombrer du moment présent ? L’instant parfait est passé, et l’on ne peut pas mettre en pause un instant éphémère, il faut donc avancer. Vivre ou mourir. Cette idée du temps permet de manier la tension avec une aisance fascinante, magnifiant cette fugue sauvage, ces aller-retours, incessants, en dehors du contexte et pourtant d’une logique implacable, cet équilibre parfaitement imagé, se rompt aussi parfois, déviant sur des folies de grandeur que l’on créditera derrière l’envie de plaire à un public à l’horizon d’attente inadapté et dérisoire par rapport aux vues et idées du film. Dans un sens, Harmony Korine en appelle à nos faiblesses, et surtout à notre curiosité, pour ensuite se justifier. On en revient à cette idée de faiblesse de nouveau, celle que l’on cache par une violence que l’on ne connaît pas, que l’on ne maîtrise pas, mais qui nous happe une fois que l’on joue avec elle. Spring Breakers n’est pas seulement un film dédié à l’adolescence comme on aurait pu le croire, il est avant tout dédié à cette idée inconsciente de l’échappatoire, de l’envie de tout quitter pour vivre ce que certains appellent la vraie vie. Qui ne voudrait pas vivre la vie de Tony Montana, avoir tout sous la main, contrôler le monde. Bizarrement, on finit par croire en cette spiritualité dont on rie naïvement la première fois qu’il en est question, sorte d’excuse à la débauche environnante, qu’il suffit de jeter sans réflexions pour rassurer sa conscience.
                James Franco tient ici un rôle halluciné, digne du personnage mis en image. On aura rarement vu un acteur prendre autant de risques et virer de sa persona habituel avec autant de force. Alien est bien plus qu’un homme persuadé de venir d’un autre monde, il est un créateur façonnant celui dans lequel il vit. A la fois improbable et fou, au-delà d’accessoires et d’une mise en image du personnage totalement aux antipodes de l’acteur en lui même, James Franco tient durant tout le film une ligne de conduite envers ces filles qu’il se met à vénérer, nous empêchant de ne jamais réellement comprendre ses intentions, comme embrumées par un trop plein à évacuer. Vanessa Hudgens, Selena Gomez, Ashley Beson et Rachel Korine n’ont rien à envier face à cet être hors-normes. L’on aurait pu tout de même croire ici que le ratage serait fatal, surtout pour un film reposant autant sur ses acteurs. Après tout, on a là des miss, surtout les deux premières, peu réputées pour leur maturité. Et pourtant, le sérieux des filles est impressionnant, surtout quand l’on sait que la majorité du jeu repose sur l’improvisation. Si les formes sont aussi évidemment un atout indéniable - ne nous voilons pas la face -, leur concentration sur certaines scènes plus qu’équivoques, dont Harmony Korine ne perd aucune bribe, nous oblige à réévaluer le jeu d’une actrice comme Vanessa Hudgens, que l’on aura peut-être eu trop rapidement envie de catégoriser dans l’univers de Mickey.


                Pour financer leur Spring Break, quatre filles aussi fauchées que sexy décident de braquer un fast-food. Et ce n’est que le début… Lors d’une fête dans une chambre de motel, la soirée dérape et les filles sont embarquées par la police. En bikini et avec une gueule de bois d’enfer, elles se retrouvent devant le juge, mais contre toute attente leur caution est payée par Alien, un malfrat local qui les prend sous son aile…


                Un postulat opportuniste et une communication dédiée à la mauvaise génération avait fait de Spring Breakers le candidat idéal de la palme du film absurde et bien commercial. Mais ce n’était sans compter la présence d’Harmony Korine, qui, dévie de tous les plans logiquement prévisibles, pour nous offrir, à sa sauce, et nous rappelant à certains instants le cinéma de Terrence Malick, une belle expérience visuelle.
                Titre Français : Spring Breakers
                Titre Original : Spring Breakers
                Réalisation : Harmony Korine
                Acteurs Principaux : James Franco, Vanessa Hudgens, Selena Gomez
                Durée du film : 1h 32min
                Scénario : Harmony Korine
                Musique : Cliff Martinez
                Photographie : Benoît Debie
                Date de Sortie Française : 6 mars 2013

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