The Master AfficheAujourd’hui considéré comme un réalisateur majeur, Paul Thomas Anderson nous revient, presque cinq ans après son dernier long métrage, There Will Be Blood, avec un nouveau film traitant à nouveau d’une époque majeure des Etats-Unis : The Master. Pour le réalisateur, au sommet après seulement cinq films, ce sixième représente alors beaucoup de choses. D’une part, il représente le retour de Joaquin Phoenix sur grand écran après le projet fou qu’il avait orchestré avec Cassey Affleck en préparant I’m Still Here.
Mais le film représente surtout un instant important pour le réalisateur, un véritable tournant qu’il emprunte à la fois sur le plan technique, mais aussi purement cinématographique, se risquant à déconcerter son public et sommairement, une part de ce qui fait le cinéma. Ainsi le film ne s’aborde pas avec autant de facilités et de plaisirs que ses précédentes réalisations, même si il continue à jouer des mêmes instruments fascinants, le résultat est bien loin de proposer une vision commode d’un récit.
Qui plus est, le film souffre indirectement de la communication abusive de la presse américaine à vouloir faire – à tort ? – de ce film un biopic d’une partie de la vie de L. Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie. Cette volonté vient surement du fait que le film nous rappelle que ce pan de l’histoire américaine, celle où les cultes et sectes ont commencé à jaillir un peu partout sur le territoire, n’est pas qu’un mirage à balayer d’un coup de vent.
Reste que le film magnifie cette psychologie du culte, plus habitué à l’inverse, s’engouffrant entièrement dans la psyché de ses personnages, cette idée seule pourra déranger un certain public, plaçant le film à mi-chemin entre Martha Marcy May Marlène de Sean Durkins et A Dangerous Method de David Cronenberg. Mais reste que le film va bien plus loin, s’offrant entièrement à nous et à notre analyse.

The Master 1

Après le génial There Will Be Blood, on aurait pu s’attendre à un récit beaucoup trop léché pour avoir le quelconque intérêt, trop parfait, et pourtant, Paul Thomas Anderson nous amène de nouveau dans un autre univers graphique, adapté à chacun des instants de son film. Ainsi, il fait preuve ici d’une réalisation plus étrange, atypique, volontairement loin de la perfection imagée, économe en plans même si ce sont ces travelling et panoramiques pour lesquels il est autant réputé qui continuent à supporter le film autour des plans fixes habituels. Cette conception étrange du montage, malgré sa fluidité impressionnante, s’avère représentative du sujet qu’il aborde. Les personnages sont en constante recherche d’une vérité qui amènera à l’un la rédemption, à l’autre le pouvoir de voir d’autres horizons. Mettant souvent en abyme un élément précédent, comme si le film était une démonstration logique des forces humaines, l’on pourrait finalement voir dans ces personnages des humanistes modernes. Chaque personnage possède alors une existence unique, épurée de parasites visuels, mettant en avant les différents espaces vitaux de chaque personnage. Paul Thomas Anderson effectue ici un travail de mise en scène fascinant, image du maelstrom psychologique qu’entreprennent ses personnages au sein de ce culte. L’on voit par exemple à travers une scène, parmi les expériences de ce groupe fermé, “la Cause”, un véritable jeu sur la perception visuelle. Mary Sue fixe Freddie, nous fixant indirectement, ses yeux verts se fondent dans le bleu, puis de nouveau dans le vert, jouant de l’image que nous autres, spectateurs, donnons au récit. Cette petite scène immisce à elle seule le doute sur la pensée du personnage de Joaquin Phoenix. L’utilisation du 70mm permet de donner une véritable ampleur au travail de lumière effectué par Mihai Malaimare Jr, à qui l’on doit notamment celles de Twixt et Tetro. L’utilisation de ce medium n’est bien évidemment pas de l’ordre d’un simple artifice, surtout quand il est question du travail de Paul Thomas Anderson.

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Rendant honneur aux nuances d’un réalisme atypique, d’un autre temps, le réalisateur met tout une époque en image. Il présente une véritable compréhension de celle-ci, allant au-delà du simple profit de cette matière riche que propose une partie de l’histoire américaine où les cultes ont pris naissance partout à travers les USA. Nombreuses sont les scènes où malgré un espace clos où les personnages y sont nombreux, le réalisateur nous éclaire habilement sur un seul personnage. Lorsque la caméra se concentre sur l’un de ces personnages, le plan devient soudain épuré, vide. Comme si par sa seule intervention, il se plaçait à un autre niveau de réflexion. Ainsi alors qu’un diner a lieu, la confrontation ne se place pas entre tous les protagonistes, mais entre Lancaster et ses convives. Car The Master est avant tout le dessin de la vie d’hommes. La mer à sa manière représente ce flux constant humain, se détruisant elle-même ou se redécouvrant, cachant des mystères ou renvoyant des trésors. Lancaster Dodd est constamment au centre des choses, maitre des situations dans lesquelles il s’engouffre. Chef d’orchestre évident de son destin, c’est à de rares moments qu’il se retrouve en position d’infériorité, alors désaxé du cadre dont il est le point de fuite. Son discours se dérègle alors, perdant son aspect imparable, parfait, ne devenant plus qu’un petit enfant quelconque criant sa vérité à l’aide d’exemples déconstruits. L’utilisation du point de fuite unique, outil de prédilection de Kubrick, omniprésent quand il est question de ce personnage, devient outil de fatalité. Une seule direction semble s’offrir à la vision de cette vie, nous engouffrant inlassablement plus profondément dans l’esprit de ces personnages. De l’autre côté, Freddie Quell, interprété par Joaquin Phoenix, semble de plus en plus détruit, en position d’infériorité. Pourtant un duel sans fin psychologique perdure malgré ce déséquilibre, nous envoutant par ces considérations métaphysiques.

The Master 3

Paul Thomas Anderson place ainsi son récit sur deux intrigues différentes : d’un côté autour du rapport entre Hoffman et Phoenix, de l’autre sur le trouble du second, perdu dans les effluents et cicatrices de la guerre. Et malgré sa “pause” Phoenix s’impose sans aucun mal. Celui-ci est bien de retour, avec un charisme impressionnant, volontairement ravagé, détruit par le temps, sa maigreur, en opposition à l’opulence de Hoffman qui appuie aussi sa position d’infériorité, courbé face au poids d’un savoir, qui, après-guerre, n’a plus aucune valeur morale pour lui. Cet homme qui passe plus de temps à se saouler à l’aide d’un alcool qu’il fabrique lui-même à l’aide d’essences et autres composants toxiques, qui sur la plage fait l’amour aux courbes d’une femme dessinés dans le sable sous le rire des autres soldats, n’est plus rien, ne sens plus sa propre existence. Il devient un peu le fou théâtral, l’héritier par principe de ce chef de file, et le plus sage de tous, sans réfléchir, il est le plus objectif sur cette recherche profonde de l’humanité. Et pourtant, malgré cette vision d’une époque fondamentalement masculine, c’est dans ses personnages féminins que Paul Thomas Anderson donne le pouvoir, notamment la femme de Lancaster Dodd, Mary Sue, interprétée par Amy Adams. Son personnage semble finalement être l’hémisphère dominant de ce duo implicite, supplantant celui de Lancaster/Freddie, par sa seule intervention. Cette “Cause” devient rapidement une grande famille, ces idées nous rappellent inévitablement celles que Sean Durkin avait construit avec Martha Marcy May Marlène, où le culte devient famille, où celui qui est mis de côté suscite le désir ou la haine des autres. Joaquin Phoenix est un peu ce personnage, héritier involontaire d’un mouvement naissant dans lequel il a eu la chance de voir une lueur d’espoir, et paradoxalement une compréhension ne le voyant plus comme un simple débris de la guerre à jeter dans une petite ruelle.


Après avoir été témoin des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, un homme revient dans une Amérique post-conflit pour s’interroger sur sa propre existence. Il crée alors un système religieux qui va attirer de nombreux fidèles


The Master est loin d’être l’une des œuvres les plus accessibles du réalisateur. Le film nécessite surement plusieurs visions, et surtout une longue réflexion après coup afin d’être entièrement compris. Ses thématiques fortes sont moins évidentes à cerner que celles présentes dans There Will Be Blood ou Boogie Night, et pourtant, une certaine logique, un lien subsiste entre le premier et ce nouveau film. Ce qu’il ne fait qu’effleurer car présent uniquement au second plan, The Master en fait son histoire, comme si une suite logique se dressait dans cette fresque qu’il complète peu à peu d’une Amérique naissante.
Titre Français : The Master
Titre Original : The Master
Réalisation : Paul Thomas Anderson
Acteurs Principaux : Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman, Amy Adams
Durée du film : 2h17minutes
Scénario : Paul Thomas Anderson
Musique : Jonny Greenwood
Photographie : Mihai Malaimare Jr.
Date de Sortie Française : 9 Janvier 2013

A propos de l'auteur

Rédacteur stellaire, parle cinéma, jeux-vidéo et de bien d'autres choses inutiles. Dirige entre autres les larbins qui enrichissent ce blog fondé quelque part aux environs de l'an de grâce 2011. Raconte des bêtises sur @noxkuro

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