Intriguant. C’est le premier mot qui nous vient à l’esprit la première fois que l’on entend parler de Mortem. Auréolé de récompenses, 18 en tout, glanées à la suite de plus de 30 nominations dans une flopée de festivals internationaux, on ne sait pourtant pas grand-chose sur le film avant de l’avoir vu. Jusque dans ses trailers qui parviennent à nous transporter encore un peu plus dans le flou, le mystère est complet, à l’image de l’ambiance qui se dégage dans le film.

Comparé par la presse américaine à David Lynch ou encore à Ingmar Bergman, Eric Atlan offre certes à ces réalisateurs un hommage dans ses thématiques abordées, mais tout en gardant une vision très personnelle de ce qu’il écrit et met en scène. Véritable homme à tout faire, le réalisateur enfile aussi la casquette de chef opérateur, et se partage la tâche sur la composition musicale ainsi que sur le scénario. Seuls les dialogues, sur lesquels il s’est entièrement basé, ne viennent pas de lui, mais de sa collaboratrice.
En résulte un film très personnel, aux qualités indéniables et renforcées par son penchant hors-normes, ne se rattachant à aucun genre, où bien à tous les genres.

Dans son ouverture, Mortem semble lorgner vers le film noir d’époque. Une femme à moto et une voiture roulent sur une route qui paraît infinie, mais l’accident que l’on suppose imminent n’arrivera pas, et au lieu de cela, la moto se « dédouble », laissant apparaître une deuxième femme. Cette exposition contribue à une atmosphère posée mais paradoxalement tendue, sans aucune parole mais avec des visages assez expressifs filmés en gros plan pour nous laisser dans le flou. L’ambiance pesante s’épaissit à leur arrivée dans un hôtel lugubre, sans âme qui vive hormis deux inquiétantes jeunes femmes  présentes pour les accueillir. Leur entrée dans ce lieu s’annonce comme un voyage sans retour dès lors qu’elles se retrouvent toutes deux enfermées dans une chambre de cet hôtel.
Une moto, une voiture, une chambre d’hôtel, un lit, un miroir, il n’y a finalement pas plus d’objets que nécessaires dans Mortem, qui se pose d’entrée de jeu comme un huis-clos minimaliste, où les personnages sont la seule clé de l’intrigue. Du film noir d’ouverture, il en restera l’ambiance, car le film est difficilement classable dans un genre défini tant il touche de nombreux thèmes. Du drame il emprunte le code de personnages perdus et qui ont leur destin en main, du thriller il garde le suspense ambiant. Et là où il devient véritablement intéressant et plus profond qu’il ne le laisse suggérer, c’est dans son imbrication dans le fantastique. Grâce à plusieurs twists disséminés le long du récit, Mortem dégage sa piste de réflexion, car il s’agit bien de réflexion ici, autour du vaste thème qu’est la mort
Qui sont ces femmes ? Pourquoi sont-elles ici ? Quel est leur passé, leur liens ? Ce n’est finalement pas le plus important dans l’immédiat, le réalisateur préférant s’intéresser à l’action dans le moment présent, tout en traitant paradoxalement de thèmes qui balayent toute une vie. Le temps d’une soirée, ou d’une nuit on ne sait pas trop, la notion de temps étant logiquement flouée, le spectateur va assister à la lutte de la première femme, Jena, contre sa propre mort. Face à face avec son âme, qui se trouve matérialisée en une femme à la beauté plus que troublante, elle va devoir jouer de ses ressources pour changer son destin. Cette âme justement, porte quelque chose d’ambigüe, tendant presque vers une certaine idée de la tentation : quel est finalement le rapport qu’entretient ce corps immortel avec la mort ?

Cette chambre d’hôtel sert de lieu fantasmé, où, comme dans un rêve, des choses que l’on peut qualifier de surnaturelles se passent. Toujours dans la thématique de brouillage de cette frontière entre la vie et la mort, les corps et les objets se déplacent sans pour autant bouger, en témoigne l’apparition d’un troisième personnage, Aken, qui aura son importance dans le dénouement de l’intrigue.
Saluons l’audace du réalisateur, qui livre ici une œuvre refusant les normes de production actuelles, ce qui aboutit logiquement à un film qui se vit telle une expérience plus qu’il ne se laisse simplement regarder. Véritable réflexion sur des thèmes tels que le salut de l’âme et la mort, Mortem ne ressemble à aucun autre film, alors qu’il aborde pourtant des sujets qui vont toucher l’humanité entière, tout en reçu différemment selon la culture de chacun. Film de tous les fantasmes, il présente aussi une tension très érotique dans l’ensemble. Eric Atlan aime évidemment ses actrices, et il ne se cache pas de le montrer. De ces deux esprits torturés, il en tire les faiblesses pour les rendre plus vulnérables à nos yeux, et en dégage une beauté insondable. En résulte, comme témoin extrême de volupté, une scène lesbienne hypnotisante, d’une part par la manière dont sont filmés les corps, mais aussi et surtout par les paroles de l’actrice, inattendues et donc assommantes.
La photographie, si elle trouve parfois ses sources assez hasardeusement sur certains plans, offre un splendide noir et blanc, toujours dans l’idée de sublimer ses actrices. Il en va de même pour la bande-son, avec un thème principal qui confine au sublime, et qui s’impose presque comme un nouveau personnage tant sa présence est appuyée. Mortem, se sont donc de nombreux détails mis en place, comme des dialogues à peine audibles et prêtant à confusion, toujours dans l’optique de brouiller la frontière entre la vie et la mort. Si certains partis-pris sont par moments maladroits, on aime surtout ce film car il ose quelque chose de différent, et reste d’un envoutement assez formidable.

Mortem se démarque clairement de la grande majorité des productions françaises actuelles. Eric Atlan ose des partis-pris risqués, et même si ces derniers ne sont pas toujours parfaits, le résultat final est une expérience intense qui ne ressemble à aucun autre film. Réflexion sur les états humains, les rapports entre les corps, le film magnifie ses personnages pour une oeuvre marquante et bluffante.
Titre Français : Mortem
Titre Original : Mortem
Réalisation : Eric Atlan
Acteurs Principaux : Daria Panchenko, Diana Rudychenko, Stany Coppet
Durée du film : 01h34
Scénario : Marie-Claude Dazun, Eric Atlan
Musique : Eric Atlan et Marc Bercovitz
Photographie : Eric Atlan
Date de Sortie Française : 3 Octobre 2012

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Rédacteur Ciné

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