Affiche2Gore Verbinski est un être étrange, autant se montre-t-il capable de donner un nouveau souffle à tout un genre, autant semble-t-il enclin à la défaillance du système de production hollywoodien. Pirates des Caraïbes premier du nom avait été le film qui avait su remettre au gout du jour la piraterie au cinéma. Ses suites, qu’ils cautionnera jusqu’au troisième épisode avant de quitter à son tour le navire, furent les exemples types de ce dont le cinéma se passerait bien aujourd’hui. Mais loin de s’avouer vaincu, le réalisateur décida d’utiliser à bon escient le budget qui lui a désormais été possible d’investir dans un film. Ainsi il réalisa Rango, pur film de western en image de synthèses, sur-référencé, mais doté d’un charme particulier propre à l’Ouest sauvage. Il y avait donc tout à craindre de Lone Ranger : un second film sur un terrain déjà visité, une mise en chantier catastrophique, mais surtout sa retrouvaille avec Johnny Depp. L’acteur américain ne cesse aujourd’hui de désespérer son public, constamment en roue libre, il ne parvient plus à nous surprendre tout comme autrefois. Trop présent sur les écrans, il semblait logique d’imaginer y voir un nouveau Jack Sparrow sans plus d’originalité. Mais pourtant, malgré ces auspices les plus sombres, s’il n’est pas un chef-d’œuvre car accumulant certaines faiblesses scénaristiques, Lone Ranger s’avère être un divertissement efficace, effaçant au possible ses défauts derrière une mise en scène léchée et habile.

Lone Ranger 1

Tout du moins, avant de réellement s’attarder sur l’œuvre de Gore Verbinski, une vraie question se pose à travers tout le film aux yeux du spectateur (amateur ou non de celui-ci) : quelle est la visée du film ? Quel public cherche-t-il avant tout à toucher ? La signature Disney nous dirige tout d’abord vers le film familial tout public, comme avaient été calibrés les différents films de la saga Pirates des Caraïbes. Mais pourtant, son esthétique et son entrain pour une violence pure au western, où la naturelle loi du sang fait gage avant toutes celles dictées par l’homme, nous amènent à nous demander si un conflit n’a pas lieu au sein même de la production-design du film. Après Rango, Lone Ranger est le second film que Gore Verbinski coproduit lui même de sa poche. Mais au vu du budget nécessaire, il est aisé de se dire qu’un compromis étrange a été fait entre les deux parties afin de faire cohabiter tout au long du film deux esthétiques si antagonistes. L’autre problème majeur de Lone Ranger vient de sa morale, des idées qu’un personnage créé entre deux guerres peut aujourd’hui véhiculer auprès d’un public bien différent. Sur ce point, il semblerait qu’une transposition bête et méchante ait eu lieu. S’il est pourtant clair que le public visé est relativement jeune, le film véhicule tout de même une morale assez déstabilisante pour nous, public non américain. Je ne peux pas assurer qu’il s’agisse d’une idée originale à ce film par rapport à la série originale (après sa création, le Lone Ranger a écumé radio, télévision, comic books..) mais reste que le film transmet une vision totalement nihiliste de la justice. D’un cran au-dessus du récit de vigilante habituel, il annonce clairement que la justice humaine ne peux rien faire, si ce n’est devenir et copier son propre ennemi. Ainsi à l’image même, l’enfant jusqu’alors vecteur de fantaisie, devient à travers une conclusion logique le nouveau vecteur de cette justice sauvage, justice qu’il devra exercer sans doute quelques années plus tard au cours de la Seconde Guerre mondiale. Car au-delà de sa morale, le film utilise constamment le vecteur de l’enfance pour mettre en scène son histoire et son héritage. L’enfance devient le support de toute l’histoire, seul ce dernier est capable d’admirer la fantaisie d’une histoire sous un angle candide et simple. Ainsi c’est par l’enfant que le conte se développe, et par l’enfant une nouvelle fois que l’étrangeté de Tonto devient quasi spirituelle. Et pourtant une nouvelle fois, Lone Ranger s’avère ambiguë sur son sujet, car le film utilise, et va même jusqu’à mettre à mal la figure du conte qu’il pose intelligemment au cours du film. Positionnant son histoire en 1933, pour ensuite repartir en 1869, il met habilement en place son récit sous l’angle d’un récit vécu et narré. L’histoire devient alors mythe, conte, celui d’un vieux gourou indien nommé Tonto.

Lone Ranger 2

Cette idée scénaristique brillante aux yeux du jeune public deviendra aussi son vrai défaut. Les trois scénaristes ayant travaillé sur le projet : Ted Elliot, Terry Rossio (auxquels l’ont doit les Pirates) et Justin Haythe (Infiltrés) se reposent trop sur l’idée que toute l’histoire est un conte, s’autorisant alors certaines faiblesses, des facilités, ou l’apparition de trous scénaristiques. Ainsi, les rares baisses de rythme dont accuse le film sont souvent dues à des instants de faiblesses en terme d’écriture. Les repères historiques sont mal amenés, d’autant plus que l’enjeu même du film n’a finalement que faire de ceux-ci. Les massacres de sioux, la perfidie humaine, sont tant de sujets qui passeront au-dessus d’enfants se replongeant à travers cette conquête du Far West. Aussi mal habile est celui qui tente d’introduire un personnage secondaire au bout de 2h de film sans être un génie. Car en terme de découpage, le film fait rarement fausse route. S’il se perd sur quelques plans visiblement entièrement shootés en CGI, son montage, supervisé par James Haygood, le monteur de Fight Club et Panic Room, s’avère étonnement clair, même au sein de scènes d’actions d’aspect difficilement lisibles. Alors que le vrai récit se lance, Gore Verbinski parvient à merveille à introduire ses différents personnages, autant par de subtils jeux de cadre que par des concours de circonstance fortuits. Car même si le scénario se perd parfois, il parvient en revanche à rester clair et efficace lorsqu’il est question de la persona de ses personnages. Par de petites phrases, glissées ça et là, Gore Verbinski donne à un personnage secondaire une profondeur, même illusoire. Verbinski assisté de Bojan Bazelli éclaire à merveille chaque plan du film, que seuls de nombreux défauts de CGI viennent gâcher. L’on dit souvent qu’il est dur de peindre les ombres dans le désert, et pourtant, les deux y arrivent sans mal. À l’aide d’idées de cadres qu’il a su mettre en pratique après les différentes réflexions spatiales auxquelles il s’était confronté sur Rango, Verbinski parvient à capter l’espace de certains plans l’âme de l’Ouest à travers des chevauchés entrainées dans des élans dynamiques et d’une fluidité frissonnante. Il multiplie ensuite les idées de cadres, pas toujours fructueuses, parfois perdus dans un espace qu’il ne parvient pas à aborder, mais offrant des passages rêvés par tout spectateur. Verbinski va encore plus loin pour montrer l’image de la fable qu’il cherche à donner à son film. Il s’amuse ainsi à mélanger objets et vocabulaire, à faire apparaitre une chose qui ne devrait pas être là où elle se trouve. Malheureusement, ces quelques idées sont rapidement submergées par un scénario profitant beaucoup trop de cette liberté, pour créer un comique de situation à outrance. Ainsi, si certaines scènes sont bien amenées, d’autres ne sont que redondantes. C’est finalement sa propre fantasmagorie qu’il met en scène, parfois pulpeuse, parfois sanglante.

Lone Ranger 3

Ainsi Lone Ranger est aussi un récit sur-référencé, renvoyant par exemple, involontairement peut-être, au film Vorace (Antonia Bird), par le Windigo, thématique traitée de manière aussi chimérique dans l’un que dans l’autre. Il était tout aussi évident de voir le film nous renvoyer à la filmographie de Sergio Leone, et particulièrement au film Le Bon, la Brute et le Truand. Plus étonnant encore, et cette fois-ci mal amené, une idée de cadre est inspirée du Seigneur des Anneaux, idée qu’il ne fera que réutiliser sans se l’approprier. La musique qui a hanté toute une génération de jeunes américains revient au galop. William Tell, composé par Rossini et passé dans l’imaginaire collectif par le biais de la première série du vigilante masqué, accompagne la nouvelle génération au cours de son final impressionnant. Hans Zimmer parvient étonnamment à renouveler son répertoire musical. Si les premières notes nous renvoient très rapidement à son passif, il se dépêche de crée une ambiance propre au western, en rendant à sa manière hommage aux plus grands. Et puis enfin, il y a Johnny Depp, un Johnny Depp étonnement convenu. Là où l’on aurait pu attendre de lui un jeu en roue libre, l’acteur se calme, et fait preuve d’un over-playing dont il n’a pas fait preuve depuis plusieurs années, nous renvoyant notamment à The Dead Man. Ainsi, même s’il reste évident sur certains plans que des relents de Pirates de Caraïbes se font ressentir, profitant d’un comique de situation évident, il garde un jeu honnête en finesse. C’est plutôt à travers le personnage incarné par William Fichtner, Butch Cavendish, que l’on voit une vraie folie absurde, donnant à son personnage une étrangeté inquiétante. Si l’acteur principal Armie Hammer ne transparait pas tout de suite, une certaine iconisation se forme autour du personnage à l’aide d’une construction logique. Ainsi, même si l’acteur en lui même est vite dépendant de Johnny Depp, ainsi que de leur némésis interprété par un William Fichtner au sommet de sa forme, le Lone Ranger reste la figure de proue d’une odyssée sauvage sans règle. Personnage de comédie comme personnage dramatique, il rend hommage au vigilante du Far West.


Lone Ranger est loin d’être parfait, mais à sa manière, à travers cette vision globale du western, il pourrait bien, tels True Grit ou Django Unchained -mais sur un aspect plus grand public et moins cinématographique- relancer auprès d’un public inintéressé le genre qui prédominât toute une période du cinéma américain. Une fois élancé dans cette épopée sauvage, ses 2h30 ne se ressentent même plus, preuve une nouvelle fois d’une certaine efficacité.


    A propos de l'auteur

    Rédacteur stellaire, parle cinéma, jeux-vidéo et de bien d'autres choses inutiles. Dirige entre autres les larbins qui enrichissent ce blog fondé quelque part aux environs de l'an de grâce 2011. Raconte des bêtises sur @noxkuro

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