Nous connaissions déjà Patrice Leconte pour ses comédies, ses films populaires, charpente du cinéma français contemporain, à voir à notre guise au premier ou au trentième degré, à apprécier ou à détester, mais nous ne le connaissions pas en tant que réalisateur de films d’animation. Véritable inconditionnel des romans de Jean Teulé, Le Magasin des Suicides est un projet qui lui tenait à coeur depuis plusieurs années, depuis sa parution en 2007. Mais, réaliste, Patrice Leconte s’est refusé toute entreprise afin de l’adapter en un film à prises de vue réelles, trop fou pour passer sur ce support, cul-de-sac donc, jusqu’au jour où un inconnu, Gilles Podesta, lui propose d’en faire un film d’animation. Révélation, Patrice Leconte se lance donc dans l’adaptation du Magasin des Suicides, pour ainsi dire, il s’agit d’un premier film, d’une renaissance, et autant dire que c’est une véritable surprise qui en est née à l’arrivée. Simplet dans son concept, niais, mais savoureux, Le Magasin des Suicides se propose comme rien de plus qu’un film où il fait bon vivre, sans prétention, certes taché de quelques défauts mais dont la qualité nous permet d’aborder le travail de Patrice Leconte peut être sous un nouvel angle.

Le roman de Jean Teulé raconte la vie de la famille Tuvache, propriétaires de père en fils du Magasin des Suicides, magasin abordant avec fierté le slogan « Vous avez raté votre vie, réussissez votre mort… » autant dire que l’ambiance se place d’un coup, surtout quand le magasin est mis en abîme par le biais de cette ville morne, pas si différente de la notre, bordé par le morceau « Y’a d’la joie » de Charles Trenet, puis, suivit soudainement d’une pluie de corps. La symbolique de la mort devient alors évidente et ce jusque dans les dernières minutes, un sentiment de regret, dans un monde où plus personne ne meurt de mort naturelle, se pose alors comme une norme implacable.  Quand l’heure est venue, que la solitude a comblée son emprise, c’est l’homme alors qui décide que du choix entre la vie et la mort, cette seconde devient l’évidence de la douceur incarnée.
Le choix d’un film d’animation musical est osé, mais globalement, à l’aide d’Etienne Perruchon, Patrice Leconte s’en sort convenablement, allant jusqu’à oser taper dans le cliché de la sonorité des voix non sans raison, mais pour montrer que la vie touche de manière identique chacun de nous. L’on comprend vite que, malgré cet aspect totalement décalé de la maison Tuvache, quelque chose ne va pas, que cette mort omniprésente n’est plus la bienvenue, que le regret commence à s’alourdir, et pourtant Patrice Leconte frappe fort dans la construction de ses personnages, volontairement faciès de générations exécrable ou perdues. Il est ainsi dur de croire ici qu’il s’agit de la première tentative d’animation par Patrice Leconte, ses restes de dessinateur aidant surement les choses, il profite sans gêne de son support, totalement libéré des contraintes de la prise de vue réelle, allant jusqu’au bout de ses idées et tapant autant juste, que trop loin. Car si une chose parait irréelle dans ce film, c’est bien sa fin, tous ses autres délires visuels étant tout à fait admirables. Patrice Leconte propose ici sa vision de la fin, différant du tout au tout de celle transcrite dans le livre, alors que ses précédentes variantes étaient des bribes d’interrogations sur l’enfance, ce changement ci semble incompréhensible, sauf lorsque l’on sait que ce film n’as que la volonté d’être tout public et sans aucun sous message sous-jacent. Mais dans ce cas pourquoi ne pas se plonger entièrement dans cette ode à la vie, pourquoi vouloir garder la mort ancrée, subsistant même dans la joie, plaçant maladroitement une leçon de morale bidon ? Tombant dans une sorte d’explosion de niaiserie, certes c’est avec curiosité que l’on accepte ce flot de joie, mais à force de vouloir trop en montrer, notre sentiment s’alterne rapidement avec le dégoût visuel.

Au final, c’est sans doute le choix de faire un film d’animation musical pas assez assumé qui porte préjudice au film. Surfant sur cette tendance qu’est celle qu’ont actuellement les films d’animation de se vouloir comme porteur d’espoir, nous restons pourtant à des années lumières de l’énormité du message proposé par exemple par Happy Feet 2 un an plus tôt, duquel l’idée ne varie pas réellement : famille, joie et force du nombre. Se voulant trop populaire, sans aucune relecture possible, Le Magasin des Suicides avance dans un sens, sans en bifurquer une seule seconde. Ses chansons, certes d’une profondeur poétique indéniable souffrent globalement de la voix des ses interprètes malheureusement ne passant pas l’exercice de la chanson, ton strident, voix inaudible, il faut parfois s’y prendre à deux fois avant de discerner la signification de certaines phrases. Mais cela ne doit pas nous empêcher de remarquer la volonté de Patrice Leconte pour rendre son récit original, authentique et attirant. Ainsi il n’hésite même pas une seule seconde à proposer une mise en abîme de ce support qu’il commence tout juste à appréhender : l’animation. Par le biais de différentes techniques, Patrice Leconte prend part à de véritables expériences du genre, usant de la matière proposée par les tests de Rorschach ou encore la magie du Flipbook, il ose avec brio, ce que beaucoup ne se seraient pas permis afin de ne pas nous perdre, nous spectateur. Il s’autorise aussi de petits plaisirs personnels, mettant en valeur des inspirations, des classiques qu’il apprécie. Et comme c’est une chose rare, autant le souligner, la 3D relief s’ajoute ici comme un véritable complément de l’animation, enfin elle prend une ébauche artistique, les films d’animations 3D ou 2D restant visiblement plus sensibles à cet outil. Le film épouse ainsi les traits d’une pièce de théâtre faite de papier Canson, les bâtiments volontairement carrés semblent être bâtis à l’aide de simples feuilles, et les personnages s’apparentent à de petites marionnettes dotées d’une âme, évoluant en son sein.


Imaginez une ville où les gens n’ont plus goût à rien, au point que la boutique la plus florissante est celle où on vend poisons et cordes pour se pendre. Mais la patronne vient d’accoucher d’un enfant qui est la joie de vivre incarnée. Au magasin des suicides, le ver est dans le fruit…


Tous les défauts du Magasin des Suicides sont finalement dûs à l’effort du premier exercice, faute de goût ou simplement abus des possibilités de l’animation, tombant alors facilement dans l’excès et dans le kitsch absolu. On regrettera surtout que Patrice Leconte n’ai pas orné son film d’une quelconque seconde lecture, le rendant plus attrayant pour le public mature, voyant en ce film des thématiques bien souvent trop rares dans le cinéma en général.

Titre Français : Le Magasin des Suicides
Titre Original : Le Magasin des Suicides
Réalisation : Patrice Leconte
Durée du film : 1 h 20 min
Scénario : Patrice Leconte
Musique : Etienne Perruchon
Date de Sortie Française : 26 septembre 2012