tinker-tailor-soldier-spySi il y a bien un style qui a disparu littéralement de nos écrans, c’est le film d’espionnage. Pas celui à la James Bond, ou encore Mission Impossible, le vrai, celui à suspens, où la réflexion passe avant l’action, où le spectateur est invité à découvrir qui est le traître avant que le film ne s’achève, un peu comme un Cluedo (merci la référence à deux balles).
Tomas Alfredson nous propose de replonger dans cet univers la tête la première, quitte à perdre en chemin la moitié de ses spectateurs, mais tout en les incitant à une seconde séance et ainsi, à revoir d’un oeil averti un film aussi complexe.
Car il faut l’avouer, voilà un moment que nous n’avions pas vu un film qui mobilise autant la concentration et la réflexion de manière continue pendant ses deux heures.
Nommé à de nombreuses reprises, Mostra, Bafta, etc… toujours en mettant en avant son scénario et son acteur phare, loué par certains comme une véritable perle scénaristique, La Taupe serait le film qui pourrai confirmer les qualités de son réalisateur suite à son dernier film, Morse.

La Taupe, titre brut préféré à son titre original beaucoup plus symbolique “Tinker Tailor, Soldier, Spy”, brille sur deux plans : son adaptation scénaristique et son casting hors-du-commun. Adapté du roman british éponyme, véritable succès littéraire et écrit par un auteur qui n’en est pas à sa première adaptation, le risque est forcément de tomber dans une narration anti-dynamique… Et c’est ce qui se passe ! On a rarement vu film aussi lent, mais ce qui se découvre à ce moment est au-delà de toute espérance, car la lenteur de la narration devient l’un des points forts de celle-ci. Paradoxal ? Non, cette lenteur nous donne le temps de mieux comprendre l’histoire ? Non plus. Une des scènes a failli m’achever, et quelques points du scénario sont encore sombres pour moi à cause de cela. Non cette lenteur est créatrice d’une ambiance lourde, où traîtrise semble remplacer amitié, une ambiance nécessaire à un tel récit, et surtout symbole d’une prise de risque remarquable.

Un petit mot sur le scénario en lui-même, s’il n’est plus utile de s’acharner sur sa complexité, impossible de ne pas mettre en avant son ingéniosité qui, volontairement placé à l’une des périodes les plus sombres de notre histoire qu’est la guerre froide, n’hésite pas à critiquer des tabous contemporains. Il s’attaque par exemple habilement à l’homophobie par le biais d’une courte scène et forcément, à la corruption.
Et malgré toute cette lenteur, on ne peut s’empêcher de remarquer la monté crescendo de la tension qui se pose autour de notre personnage principal, et plus directement nous autres spectateurs, jamais un personnage ne nous semble plus lâche, malveillant qu’un autre, tous semblent tenir de la mauvaise graine, et pourtant l’un s’en détache, sous une carapace habilement forgée.

Le second élément est bien sur le casting, précédemment dit, il est dantesque, et cela pourrait s’expliquer en ne faisant que citer les noms qui le compose, secondaires comme principaux, de Mark Strong (Jim Prideaux), incroyablement taciturne à un Colin Firth (Bill Haydon) détaché de tout, en passant par l’étoile montante Benedict Cumberbatch (Peter Guillam). Mais sans se mentir, c’est Gary Oldman, jouant le personnage de George Smiley, qui tient le rôle le plus imposant, et cela malgré la prestance d’un John Hurt au sommet de sa forme, loin des rôles anodins qu’il a pu enchaîner récemment, il se place à la limite du titan iconisé, on se retrouve face à un personnage ambivalent, s’adaptant à toutes les situations qui l’entourent, se fondant dans la masse.
Pour cela, il ne s’encombre aucunement de dialogues inutiles, seul compte notre vision des choses, notre subjectivité par rapport à ce défilement d’images auxquels s’ajoutent partiellement des dialogues épurés et fascinants.

On regrettera que certains personnages soient peu approfondis, restant flous, si pour certains ce principe est légitime, pour d’autres, le caractère aurait pu être approfondit. Remarque, on aurait alors un film d’une bonne dizaine d’heures, sans pour autant bien sûr tomber dans la même mimique que la précédente adaptation du roman par la BBC.
Mais la relation des différents personnages est un parfait sans faute, chaque personnage dégage un petit quelque chose même sous sa forme primaire, comme si chacun était l’image d’un vice, tous sont mauvais, il y en a juste quelques uns qui le sont plus que les autres…

Film a parti pris jusqu’au bout, l’aspect visuel est lui aussi adapté pour l’occasion. Volontairement pâle, doté de teintes proches du monochrome, qui pourraient passer pour une erreur de calibrage les premières minutes, prend l’aspect d’un voile de fumé dû à tout ce mystère. De même pour la musique composée par Iglesia, le grand ami de Pedro Almodovar, dont on se rend peu compte tant elle complète avec virtuosité le récit et qui pourtant quand on prête attentivement l’oreille, s’avère horriblement pesante et atypique, même son « La Mer » complètement barré et pourtant si juste tellement elle est inattendue.
La Taupe révolutionne pour ainsi dire le genre en nous renvoyant aux bases de ce qu’est le film d’espionnage, il a le mérite de nous offrir ce que beaucoup de film n’arrivent pas à créer, la véritable tension que l’on sent à la lecture d’un livre, une tension prenante, calibrée à la ligne près. Voilà ce que devrait être le cinéma d’espionnage, purgé de toute action inutile, où tout ce qui est implicite prend le pas sur l’explicite.


En pleine guerre froide, les relations internationales sont aux bord du gouffre, et si il y a bien un secteur gouvernemental qui en tire un véritable profit, ce sont les services secrets. Notamment les services secrets britannique, le MI6, qui est constamment sur le qui-vive, et cela d’autant plus depuis que l’une de leurs dernières missions, plus ou moins clandestine, s’est avérée catastrophique.
Control, dirigeant du MI6 se voit donc évincé de sa place, et cela avec son bras droit Smiley, mais dans ce monde remplit de rats, Control soupçonne la présence d’un agent double travaillant au compte des services secrets russe, et cela au sein même de ses proches, il demande donc à son seul ami d’enquêter sur les suspects potentiels, lui compris.


La Taupe nous amène à la réflexion avant toute chose, malgré son aspect tout droit sorti d’une autre époque, il illustre habilement ce qui devrait être le cinéma unique qu’est celui de l’espionnage, intriguant, lourd, pesant, notre cerveau souffre, mais c’est pour une cause originelle : celle de l’intelligence.

 

 

 

Titre Français : La Taupe
Titre Original : Tinker, Tailor, Soldier, Spy
Réalisation : Tomas Alfredson
Acteurs Principaux : Gary Oldman, John Hurt, Benedict Cumberbatch
Durée du film : 2h07min
Scénario : Bridget O’Connor et Peter Straughan d’après l’œuvre de John Le Carré
Musique : Alberto Iglesias
Photographie : Hoyte Van Hoytema
Date de Sortie Française : 8 Février 2012

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