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FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

Edition 2013

COMPETITION

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Ryan Coogler a tout d’un réalisateur arrivé derrière la caméra grâce à une volonté de dénoncer un sujet extrêmement fort et qui lui tient à coeur, animé par une rage envers l’injustice qu’il veut dévoiler au monde entier. Inspiré d’un fait réel, auquel Coogler a probablement été lié de près ou de loin vu la passion qu’il voue à son sujet, Fruitvale Station construit tout son récit autour du personnage d’Oscar Grant, jeune père de 22 ans qui va devenir figure de cinéma par le biais des suites de l’arrestation dont il est victime une nuit du nouvel an.
Succédant aux Bêtes du Sud Sauvage comme Grand Prix du festival de Sundance, l’attente était forcément grande. Loin de la dramatique mais sublime fantaisie qui avait fait de son prédécesseur un chef-d’oeuvre, le film est parfaitement ancré dans la réalité, jusqu’au point où le fait divers est traité sous la forme d’un mélodrame à la longue exposition jusqu’à l’acte final déchirant. Le réalisateur souhaite clairement prendre le spectateur par les émotions en le ménageant pendant plus d’une heure en mettant en place tout un système familial attachant, et si le résultat est au bout du compte efficace, le cheminement assez maladroit mais minimisé par la passion du cinéaste pour l’histoire qu’il raconte.

Fruitvale Sation 1

Le film s’ouvre sur une capture vidéo amateur retraçant la fameuse arrestation dont sont victimes Oscar et plusieurs de ses amis. Le document est brut, la violence des gestes s’en voit accentuée par le format tremblant du téléphone portable en train de filmer. Un bruit retentissant vient soudainement couper l’image. On ne veut pas admettre avoir reconnu de quel objet provient le son, comme pour laisser un semblant de chance à la victime, mais l’on imagine déjà voir l’issue du fait divers.
Flashback, 24 heures en arrière, le film reprend. Tout ce qui va suivre à partir de ce moment est une succession d’événements dans la vie du héros permettant de dresser en une journée une esquisse de sa vie, mais suffisamment précise pour pouvoir jouer sentimentalement sur les événements présentés. Bryan Coogler a de la suite dans les idées, presque toutes les clés sont dans ses mains pour pouvoir créer une oeuvre touchante, mais ses intentions se font clairement ressentir et plombent le parcours d’Oscar. C’est peut-être là tout le mystère affectif qui se construit à la vision de Fruitvale Station : le film se bâtit sur des maladresses de cinéaste débutant (Ryan Coogler signe ici son premier long-métrage, après s’être fait remarquer par une production sur format court), mais les saillies émotionnelles sont étonnamment puissantes. La sincérité qui se dégage des images du film est finalement compréhensible lorsque l’on voit l’événement central qui cantonne les personnages à cette station de métro éponyme. L’énorme bavure policière a pu être dévoilée a grand jour grâce aux témoins et à l’ère du tout numérique, ce qui rend d’autant plus révoltant et absolument inadmissible le comportement des forces de l’ordre ce soir du nouvel an.
Le fait de dévoiler l’issue du film au début rend la narration expéditive car sans salvation possible pour le héros, mais le mélodrame prend aussi sa source dans l’existence d’Oscar les 24 heures précédant l’acte charnière. Il est présenté comme un homme qui n’est pas totalement sorti de l’adolescence, mais avec toutes les responsabilités que peut avoir un adulte. En couple avec sa femme qui vit encore chez sa mère, ils ont une petite fille qu’ils tentent d’éduquer malgré la précarité de leur situation : vendeur dans un supermarché, il a perdu son emploi et n’ose pas l’avouer à sa compagne. Le penchant misérabiliste de cette instabilité est mis en parallèle avec un fort lien familial qui unit toute cette famille pour le meilleur et pour le pire. Le drame naît précisément ici, du mariage entre les moments difficiles et les moments de partage, le rire et les larmes rendent attachants tous ces personnages qui font penser qu’ils ne méritent pas leur sort.

Fruitvale Station 2

Ryan Coogler joue ainsi aussi sur la rédemption de son personnage principal. Dealer et consommateur, Oscar fume, et cela lui a coûté son emploi, ainsi que des disputes avec Sophiana, sa femme. Sans aller chercher à fouiller dans son passé pour montrer qu’il a changé, le réalisateur s’attaque de front à prouver que le héros a changé et qu’il ne mérite finalement pas tout ce qui lui arrive et ce qui lui arrivera. En 24 heures, il parvient à nous faire croire au départ d’une nouvelle vie pour son héros, un nouveau départ qui démarrerait le jour de l’an. L’envie d’en finir avec tous ces tracas quotidiens qui rendent sa vie précaire, l’espoir de sa femme qu’il arrête de lui cacher des choses « pour son bien, c’et ce qui fait d’Oscar un personnage sacrément touchant et bien plus conscient de son existence qu’il ne laisse y penser au premier abord. Que ce soient des discussions avec sa fille, des promesses faites à sa mère, le mélodrame gagne en intensité en projetant Oscar dans un futur rêvé mais qui se verra brutalement brisé. Les étapes de démonstration sont malheureusement mal amenées, car il s’agit ici de guider les émotions du spectateur uniformément, et non de le laisser réfléchir à l’existence des personnages, et les maladresses de narration peuvent rebuter le ressenti et donc l’impact direct des échanges entre tous les protagonistes.
Flirtant constamment avec la frontière du cliché pénible et larmoyant, Fruitvale Station s’avère finalement une maladroite mais belle et juste poésie d’un homme aux espoirs d’une vie meilleurs qui se verront brisés bien trop rapidement. La puissance de la mise en scène de Ryan Coogler écrase sur son passage un parcours constamment borderline pour le transformer en une petite chose touchante, parfois bouleversante.


Fruivale Station est une oeuvre d’une telle honnêteté de la part d’un cinéaste enragé par ce fait-divers révoltant qu’il en devient un film d’une efficacité folle malgré ses erreurs de « débutant ». Espérons que cette énergie qui anime la réalisation du film ne rende pas le cinéaste éphémère, et qu’il sache s’émanciper sur des sujets à gros potentiel.


    A propos de l'auteur

    Rédacteur Ciné

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