Étrange Festival 2012 – Catégorie « Carte blanche Kenneth Anger »

Qui mieux que Tod Browning peut représenter le meneur de fil de tous les films présents à l’Etrange Festival ? Connu par le grand public pour son film Dracula sorti en 1931, mettant en scène l’histoire du comte joué alors par l’emblématique Bela Lugosi, premier film à remettre au goût du jour le mythe du vampire quelques dizaines d’années après Nosferatu de F.W Murnau, et à bâtir ce qui serait bientôt une culture prodigieuse à laquelle l’on peut rattacher des noms emblématiques tels que Christopher Lee, Francis Ford Coppola ou encore Werner Herzog. Mais c’est l’année suivante, avec Freaks, La Monstrueuse Parade, que Tod Browning devient littéralement l’homme à abattre. Freaks est un échec commercial éprouvant, le film en vient à être détesté par la critique mais aussi par le public. Son film,  mettant en scène des personnes réellement dotées de malformations, trop singulier, et surtout diffusé à une époque où les gens n’étaient tout simplement pas prêts à voir dans le cinéma américain une réalité si troublante, signera l’arrêt de Tod Browning alors que l’année précédente sortait M. Le Maudit de Fritz Lang en Allemagne. Le film ira même jusqu’à être interdit de diffusion pendant plusieurs dizaines d’années sur le territoire britannique. Aujourd’hui réhabilité au rang de chef d’oeuvre, source d’inspiration visible chez de nombreux réalisateurs, Freaks, la Monstrueuse Parade garde la même puissance d’imagerie qu’autrefois, représentant le pittoresque de l’humain non pas à travers son cirque, mais à travers la seule personne considérée comme normale au sein de son oeuvre.

© DR

Cléopâtre est une acrobate se produisant dans un cirque de « monstres », seule parmi tous, cette dernière à rapidement compris qu’elle pouvait contrôler certains de ces occupants à l’aide de sa beauté, de sa « normalité ». Alors que Tod Browning aurait pu se contenter d’un huit-clos où l’on suivrait Cléopâtre tentant de survivre, il prend ce concept banal, et le renverse pour en faire une histoire emblématique. Browning ne se contente pas de rendre le personnage de Cléopâtre odieux, nous forçant à nous attacher ainsi aux habitants plus qu’atypiques du cirque, il dresse sans irrégularité et avec passion en l’espace d’une simple heure le portrait de tous ses personnages. Le canon devient le monstre et le monstre devient le normal, Cléopâtre n’est plus que du mensonge à l’état pur, la définition même de ce qu’est le monstre, n’hésitant pas à profiter de ceux n’ayant pas les moyens de disposer du peu d’honneur qui leur est permis, tout en abordant ce sourire figé, héritage de sa beauté. Cruelle, indépendante, et surtout attirante, c’est à travers le personnage de Hans qu’elle trouvera son souffre douleur et la victime parfaite. Olga Baclanova permet de rendre son personnage encore plus détestable, son allure et sa démarche rappelant d’ailleurs plus souvent les mouvements de l’automate plutôt que ceux d’un humain.

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Pour sa Parade, Browning ne profite pas une seule seconde de la faiblesse physique de ses personnages, il en fait tout le contraire, ce n’est pas la pitié qu’il nous insuffle, mais la force. Cette famille, se révélant être bien plus qu’une idée lors du repas de noce de Cléopâtre et Hans, devient soudain plus semblable à une puissante mafia, confirmation donnée au film à travers son final implacable. Browning confère ainsi à chacun des artistes du cirque plus d’humanisme qu’il n’en est permis à quiconque, chose dont eux même font continuellement preuve, notamment le parti féminin omniprésent à travers Fieda et Venus, porté respectivement par Daisy Earles et Leila Hyams. C’est notre regard que Tod Browning cherche à changer, n’en appelant pas notre perversité afin d’attiser notre curiosité, véritable tour de force, nous nous attachons peu à peu à eux. Et pourtant, lorsque l’on sait que le film a connu l’oeuvre de la censure, que la première fin re-faisant de ces humains enfin ré-habilités à nouveau des monstres, Tod Browning montrait par ce biais que l’homme, quel qu’il soit, est toujours au final un monstre au fond de lui.


Des êtres difformes se produisent dans un célèbre cirque, afin de s’exhiber en tant que phénomènes de foire. Le liliputien Hans, fiancé à l’écuyère naine Frieda, est fasciné par la beauté de l’acrobate Cléopâtre. Apprenant que son soupirant a hérité d’une belle somme, celle-ci décide de l’épouser pour l’empoisonner ensuite avec la complicité de son amant Hercule. Mais le complot est découvert, et les amis de Hans et Frieda vont se venger…


A travers ce seul film, Tod Browning propose un message d’une force universelle, indéniable, ancré dans son époque. Soulagé de toutes contraintes de genre, il signe ainsi un film sans repère, perdu dans son temps. Reposant la totalité de son intrigue sur un un simple fait: qu’est-il arrivé à Cléopâtre ? Il élabore un récit noir nonobstant tout aprioris.
Titre Français : Freaks, La Monstrueuse Parade
Titre Original : Freaks
Réalisation : Tod Browning
Acteurs Principaux : Olga Baclanova, Harry Earles, Wallace Ford
Durée du film : 1h04
Scénario : Willias Goldbeck, Leon Gordon, Edgar Allan Woolf, d’après une histoire de Clarence Aaron Robbins
Photographie : Merritt B. Gerstad & Henry Freulich
Date de Sortie Française : 1932

A propos de l'auteur

Rédacteur stellaire, parle cinéma, jeux-vidéo et de bien d'autres choses inutiles. Dirige entre autres les larbins qui enrichissent ce blog fondé quelque part aux environs de l'an de grâce 2011. Raconte des bêtises sur @noxkuro

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