Antiviral - AfficheRien qu’en soit, l’épreuve du premier long métrage pour un cinéaste est un cap incroyablement difficile à passer. Qu’en est-il alors lorsque l’on porte le nom de son père, en l’occurrence Cronenberg? David avait fait ses preuves dès le début des années 1970, en s’affirmant comme un réalisateur essentiel car portant des thématiques reconnaissables et récurrentes d’un film à l’autre.
Mais le principal intéressé ici est Brandon, et la question est évidemment de savoir s’il est capable avec Antiviral de se montrer à la hauteur de son père. La réponse est définitivement oui, et lorsque l’on prend en plus conscience de toute la pression émise sur ses épaules rien que par le nom qu’il porte, on ne peut que féliciter le jeune cinéaste, âgé d’à peine 27 ans.
Là où l’on peut même aller jusqu’à l’applaudir, c’est en voyant qu’avec Antiviral, il se sert même de ce nom, ou plutôt de ce que l’on connaît en matière de vision cinématographique liée aux films de Cronenberg père, car il s’influence grandement de l’univers de ce dernier pour livrer un film extrêmement prometteur pour la suite de sa carrière.
Ce n’est pas pour rien si le nom de David Cronenberg est récurrent lorsque l’on parle d’Antiviral. Car même si ce n’est pas son film mais celui de son fils, cela saute aux yeux que ce dernier, bien plus qu’en tant que simple influence, se sert de l’image que le grand public connaît de son père (ce qui est d’autant plus amusant que la question de l’image est primordiale dans ce film) pour mieux déjouer les attentes et se créer un univers très personnel, aussi bien dans les thématiques que dans l’esthétique. Des thématiques justement, on retrouve en écho à un cinéma plus ou moins lointain celles de la mutation des corps, des transformations, et autres choses horrifiques servant un ressenti glauque, voire morbide.

Antiviral 1

Antiviral étant un film d’ambiance par excellence, c’est donc dans ce penchant vers l’insalubre que les influences de David Cronenberg se perçoivent, mais aussi dans le découpage très minutieux et tactique des séquences. Il s’en trouve ainsi malsain rien que dans le sujet : Syd March, le héros, formidablement interprété par Caleb Landry Jones, travaille pour le compte d’une grande entreprise et vendant à ses clients des virus que les stars ont elles-mêmes contractées.  Antiviral se pose donc dès ses premières images comme un film extrêmement clinique, le malaise est bien présent et ne nous quittera pas du début à la fin. C’est grâce à la mise en scène que l’atmosphère morbide se ressent, notamment dans les décors, que ce soit l’entreprise ou l’appartement de Syd, lieux aseptisés au possible et où chaque objet semble faire tâche dans des pièces immaculées de blanc, appuyés par une photographie très recherchée. Aussi bien dans les cadrages, très minutieux quoique parfois redondants ou incompréhensibles dans la gestion de l’espace, que dans les jeux de lumière, souvent en surexposition, tout est fait pour que le spectateur ne se sente pas à sa place. Les blancs cliniques des décors utilisés en contre-emploi d’un univers glauque sont toujours ponctués de tâches de couleur (ou de noir), souvent du sang, qui arrivent en tant qu’éléments de gêne visuelle, mais aussi de fascination de l’œil pour le plan qui se dessine. La démarche est casse-gueule mais s’avère brillante, car elle dessert pour le coup à merveille une histoire et des personnages partageant les mêmes symptômes.
Mais ce malaise ne serait pas aussi perceptible que cela s’il n’était pas validé par un postulat de base digne d’un grand film d’anticipation, à la différence près qu’il prend place dans notre monde contemporain. La première partie du film démontre un rapport assez cruel du réalisateur au monde : en prenant pour cible le star system actuel, il pousse la problématique du rapport des idoles à leurs stars dans ses derniers retranchements. Fini les autographes, ce sont maintenant les maladies des stars qui s’achètent à prix d’or pour se les injecter directement dans son propre corps.
Le plus choquant dans Antiviral, c’est le fait que Brandon Cronenberg dépeigne un monde certes fantasmé, mais paradoxalement profondément réaliste dans son traitement. Et c’est probablement cette volonté de représenter une société de façon terriblement réaliste qui rend le film crédible et donc terrifiant. Après tout, qui sait si notre système actuel, capable d’aller toujours plus loin dans l’inconscience, n’arrivera pas un jour à un tel niveau d’absurdité ?

Antiviral 2

Il y sonde le caractère humain, pousse la bêtise visible aujourd’hui dans ses derniers retranchements. C’est ce sens de la caricature (ici non pas au sens « risible » du terme) qui finalement rend sa comparaison à  notre société contemporaine d’autant plus virulente et effrénée, et donc palpable. Les clients du laboratoire où travaille Syd sont forcément des gens fortunés, les échantillons de virus étant prélevés directement sur le corps de la célébrité malade, mais on se trouve bien loin de l’hystérie que peuvent aujourd’hui avoir certains admirateurs lorsqu’ils rencontrent leur idole. Ici, les patients (car ils sont bien réduits à un contexte médical) ne semblent même pas heureux de « posséder » en eux la maladie, ils se la font injecter comme on leur injecterait une drogue, ils paraissent sans émotions. Le réalisateur met en images une vision assez apocalyptique de la « race » humaine en tant que groupe d’individus, les relations entre les Hommes sont à l’image de tout le film, extrêmement froides, ils ne dégagent pas une quelconque émotion les uns envers les autres.
Les vices de l’être humain sont même poussés à leur paroxysme à travers le personnage de Syd, qui, au lieu d’être un employé intègre (certes, au sein d’une entreprise totalement capitaliste dont il y aurait des choses à redire sur les intérêts, mais il semble au début en respecter les règles), se voit lui aussi affublé d’une perversité certaine, et c’en est même le tournant majeur du récit, lorsque l’on apprend qu’il s’injecte dans son propre corps les virus appartenant à la compagnie, pour ensuite les revendre au marché noir. C’est au moment où il apprend que l’un de ces virus est mortel que le film prend une toute autre tournure : s’il gardera toujours son aspect glauque, il prend cette fois-ci le chemin du thriller, Syd étant pourchassé par des trafiquants cherchant à récupérer la maladie mortelle qu’il s’est injecté. Jusqu’au bout, le film prend un ton fataliste, sans pour autant être plombant. Et si la deuxième partie du film prend parfois des chemins un peu trop sinueux pour ce qui n’est encore qu’un premier long-métrage, s’empêtrant dans une intrigue trop complexe car manquant de suspense, Antiviral se montre toujours passionnant et électrique dans son propos rageur envers la société. A cela s’ajoute une bien belle pique aux médias, qui dans le film se font vecteur de non-information, problème on ne peut plus contemporain de la reprise d’actualités non vérifiées mais tout de même transmises au monde entier. Même topo pour les stars, montrées en boucle sur des écrans de télévision et sous des angles les plus avantageux, le culte de l’apparence est immédiatement détruit dès qu’Hannah Geist, star exclusive à l’entreprise de Syd, est montrée malade et impuissante, au fond de son lit.
Des célébrités mourantes, le (anti-)héros dépeint comme un personnage tiré tout droit d’un film d’horreur et aux ambitions très ambiguës, Antiviral est bel et bien un film sur la destruction par l’absurde, que ça soit des mythes, comme de l’humanité en général. Il est seulement regrettable que par moments le film soit plus une envie personnelle du réalisateur de transposer un univers personnel qui lui tient à cœur, qu’une histoire qui aurait pu être plus accessible, ce qui le ferme au public à certains instants. Antiviral est aussi un film de souffrances, de personnages finalement tous victimes tôt ou tard de ce système extrême où ils n’évoluent plus, mais régressent dans un univers totalement désespéré.


La communion des fans avec leurs idoles ne connaît plus de limites.
Syd March est employé d’une clinique spécialisée dans la vente et l’injection de virus ayant infecté des célébrités. Mais il vend aussi ces échantillons, pour son propre compte, à de puissantes organisations criminelles. Sa méthode pour déjouer les contrôles de la clinique : s’injecter les virus à lui-même…
Mais ce procédé va s’avérer doublement dangereux : porteur du germe mortel ayant contaminé la star Hannah Geist, Syd devient une cible pour les collectionneurs…


Quand le fond épouse la forme à un tel point que le malaise vécu par le personnage principal prend vie chez le spectateur tout le long du film, c’est que la recette fonctionne. Sacrément malin pour un premier film, Brandon Cronenberg joue avec le cinéma de son père pour créer son propre univers, et fait d’une pierre deux coups en nous faisant retenir son prénom.
Titre Français : Antiviral
Titre Original : Antiviral
Réalisation : Brandon Cronenberg
Acteurs Principaux : Caleb Landry Jones, Sarah Gadon, Malcolm McDowell, Douglas Smith
Durée du film : 1h44
Scénario : Brandon Cronenberg
Musique : E.C. Woodley
Photographie : Karim Hussain
Date de Sortie Française : 13 Février 2013

A propos de l'auteur

Rédacteur Ciné

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.

Image CAPTCHA

*

What is 9 + 4 ?
Please leave these two fields as-is:
IMPORTANT! To be able to proceed, you need to solve the following simple math (so we know that you are a human) :-)